Pavillonnoir Tome 3 L'üle aux requins de Plongez-vous dans le livre Alain Surget au format Poche. Ajoutez-le à votre liste de souhaits ou abonnez-vous à l'auteur Alain Surget - Livraison gratuite à 0,01€ dùs 35€ d'achat - Furet du Nord
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RĂ©sumĂ©: Dans ce monde oĂč seuls les plus puissants deviennent cĂ©lĂšbres, l'un des pays les moins attendus abrite la plus puissante arme de destruction au monde. Cela n'Ă©ttonerai personne qu'une puissance malĂ©fique doublĂ© d'une personnalitĂ© tordue veuille conquĂ©rir ce monde protĂ©gĂ© depuis un temps par des toupies exeptionnelles qui ont, jusqu'Ă  prĂ©sent, fais Je me suis laissĂ©e tenter par cette suite grĂące Ă  la fin du tome prĂ©cĂ©dent. J’ai nettement prĂ©fĂ©rĂ© ce tome-ci. Alors que le tome 1 mettait les bases avec la prĂ©sentation des personnages, les diffĂ©rents groupes et tout ce qui est gadget et artefact, le second tome approfondit cet aspect aventure. Effectivement fini les prĂ©sentations, nous rentrons plus dans le vif du sujet. La LĂ©gion de l’Ɠil d’Horus est toujours lĂ  et elle veut s’emparer de Chintamani, la fameuse pierre philosophale. Vigilance dĂ©cide d’aller empĂȘcher la LĂ©gion de la prendre avant que l’HumanitĂ© sombre. Ce roman commence dans l’action avec une question pourquoi on veut le tuer ? Ce tome, outre l’aspect sauver le monde et l’aventure, nous apprend plus sur Edge, vous savez l’hacker de gĂ©nie ?! Nous poursuivons ensuite sur Evan et sa capacitĂ© de rien Ă  foutre de l’école et nous avec. Beh ouais, on veut savoir ce qu’il se passe et foncer dans l’aventure. Ça ne rate pas ! Le roman est toujours du point de vue d’Evan avec des passages aux opposants. J’aime beaucoup cette dualitĂ©, ça nous permet d’ĂȘtre en mĂȘme temps dans la tĂȘte d’Evan et ses questionnements et, Ă©galement, de savoir et comprendre d’autres personnages et leurs objectifs ainsi que leurs pensĂ©es. Donc Edge est plus mis en avant. Notre hacker favori se dĂ©voile et un pan de son passĂ© est rĂ©vĂ©lĂ©. J’ai apprĂ©ciĂ© ce personnage, il est moins distant ici, et nous voyons que ses amies sont trĂšs importants. En plus, on voit une autre facette de lui-mĂȘme si je m’en doutais, ouais j’avoue j’espĂ©rais. Vu qui il est, ça semblait dans un sens logique. De mĂȘme que nous le comprenons mieux par rapport aux rĂ©vĂ©lations faites. C’est un personnage qui est entre deux chaises si je puis dire. Lui a un lien avec les deux groupes, ce qui fait qu’il est d’autant plus mystĂ©rieux et un air de monsieur je sais tout. Il ne change pas ici mais ce tome Ă©claircit des points, nous montre un Edge moins mystĂ©rieux et cachottier en mĂȘme temps y a des rĂ©vĂ©lations, logiques ! et comment il en est arrivĂ© lĂ  avec son sacrĂ© caractĂšre. Et pour les autres personnages ? Ce sont toujours les mĂȘmes et y en a des nouveaux ! Les nouveaux servent Ă  exposer Edge et ont bien une identitĂ© propre. Dans la plupart de roman, des personnages sont prĂ©sents juste pour activer un Ă©lĂ©ment de l’intrigue ou la bouger, ils servent Ă  combler un trou pour plus de facilitĂ©. Dans Dossier Evan Cartier ce n’est pas le cas et j’en suis ravie ! Nous apprenons Ă  les connaĂźtre, certains Ă  aimer, d’autres Ă  dĂ©tester ou Ă  apprĂ©cier ! De mĂȘme un passage nous dĂ©voile davantage la cruautĂ© de la LĂ©gion, qui renforce mieux le cĂŽtĂ© dramatique, perfide et vicieux, la barbarie dont elle est capable. On a eu un aperçu dans le tome 1 mais avec une personne. Une scĂšne a de l’ampleur. Pourtant, j’ai senti un retrait par rapport Ă  une scĂšne et du sadisme renvoyĂ© au lecteur. MĂȘme si le grand mĂ©chant loup du tome 1 Ă©tait ridicule, ici c’est plus une version collective non ridicule et plus concrĂšte. Ils sont plus concrets avec certes des stĂ©rĂ©otypes, un peu trop dichotomique, mais ça marche bien. LĂ©a, toujours Ă©gale Ă  elle-mĂȘme aimant les statistiques et ĂȘtre autant chiante qu’attachante. Louise et Evan ne change pas des masses. Evan a mĂ»ri, le deuil est passĂ© » et se concentre sur Vigilance. Leur amitiĂ© Ă  tous deux est vraiment superbe, j’espĂšre que ça va rester comme ça. Les amitiĂ©s telles quelles sont rares dans les romans. Concernant l’intrigue de ce tome, j’ai beaucoup aimĂ©. L’adrĂ©naline parcourt les pages et notre corps. Nous courons avec les personnages tant que les rebondissements vont bon train. Les Ă©nigmes sont trĂšs sympas, et l’endroit recherchait mĂ©lange mystĂšre et un brin fantastique ! Des situations trĂšs imagĂ©es, rappelant les films et les sĂ©ries, rocambolesques, prĂ©visibles et rĂ©alistes, et trĂšs drĂŽles. Je me suis dit il va se passer un truc, BINGO ! En plus de cette intrigue, une autre en fond s’installe plus profondĂ©ment avec de nouveaux Ă©lĂ©ments. Ça permet d’avoir des histoires sur un tome et sur plusieurs tomes. L’humour ponctue toujours l’intrigue et les remarques sarcastiques donnent une atmosphĂšre et un autre dynamisme Ă  l’histoire. Le hic Ă  la fin, c’est que j’aurais aimĂ© voir l’arrivĂ©e et non dans la page suivante passer Ă  l’épilogue. J’ai l’impression qu’il me manque un bout et que ça se termine sans rĂ©ellement de conclusion. Je ne parle pas de l’épilogue en soi qui relance l’intrigue et qui nous dicte FONCE DANS LE TOME 3 que s’est-il passĂ© ? Comme les bases Ă©taient posĂ©s dans le tome prĂ©cĂ©dent, nous avons un second tome approfondissant aventure, passĂ© dĂ©voilĂ© et amitiĂ©. Il n’y a pas un temps mort, et l’intrigue de fond prend de l’ampleur. HĂąte de lire le troisiĂšme tome !

Nousaborderons ensuite le chapitre des analogies avec les divers courants traditionnels. par l’injustice et par l’irruption des ennemis. L’oeil oudjat volant. oeil oudjat. Ce symbole survole les 4 vases canopes (les quatre fils d’Horus posĂ©s sur la fleur de Lotus). L’Oudjat reprĂ©sente l’ƒil du dieu faucon, Horus. Durant sa bataille contre Seth, Horus perdit un Ɠil. Le

ENIM 1 - Bernard Mathieu - Les Enfants d`Horus, thĂ©ologie et Institut d’égyptologie François Daumas UMR 5140 ArchĂ©ologie des SociĂ©tĂ©s MĂ©diterranĂ©ennes » Cnrs – UniversitĂ© Paul ValĂ©ry Montpellier III Les Enfants d’Horus, thĂ©ologie et astronomie Bernard Mathieu Citer cet article B. Mathieu, Les Enfants d’Horus, thĂ©ologie et astronomie », ENIM 1, 2008, p. 7-14 ENiM – Une revue d’égyptologie sur internet est librement tĂ©lĂ©chargeable depuis le site internet de l’équipe Égypte nilotique et mĂ©diterranĂ©enne » de l’UMR 5140, ArchĂ©ologie des sociĂ©tĂ©s mĂ©diterranĂ©ennes » Les Enfants d’Horus, thĂ©ologie et astronomie EnquĂȘtes dans les Textes des Pyramides, 1 Bernard Mathieu Institut d’égyptologie François Daumas UMR 5140 CNRS - UniversitĂ© Paul-ValĂ©ry - Montpellier III F des relevĂ©s systĂ©matiques et par consĂ©quent aussi exhaustifs que possible, en l’état actuel de la documentation, ces enquĂȘtes proposent de faire le point, pour tenter d’en saisir la signification et la fonction, sur un acteur, un thĂšme, une notion rencontrĂ©s dans les Textes des Pyramides TP 1. ONDÉES SUR Les Enfants d’Horus graphies et attestations Îr les Enfants d’Horus § 24d [N] § 643b [T] TP 1004 [P/F/Se 50] ses Enfants § 49+4 [Nt] § 766d [P] les Enfants de tes Enfants § 1983a [N] § 24d [TP 33], § 49+4 [TP N71 E], § 619b [TP 364], § 637b [TP 368], § 643b [TP 369], § 766d [TP 423], § 1338a, b [TP 544], § 1548a [TP 580], § *1823a [TP *644], § *1824h [TP N645 B], § 1828a, 1829a [TP 648], § *1859d [TP N658 A], § *1897a [TP N664 D], § 1983a [TP 670], § 2221b [TP N715 B], TP 1004. 1 Les conventions utilisĂ©es sont celles de la Mission archĂ©ologique française de SaqqĂąra MAFS voir notamment J. LECLANT, À la pyramide de PĂ©pi I, la paroi Nord du passage A-F Antichambre - Chambre funĂ©raire », RdE 27, 1975, p. 137, n. 3 ; A. LABROUSSE, L’Architecture des pyramides Ă  textes, I. Saqqara Nord, BdE 114/1, 1996, p. 229231 ; C. BERGER-EL NAGGAR, J. LECLANT, B. MATHIEU, I. PIERRE-CROISIAU, Les textes de la pyramide de PĂ©py Ier. Édition. Description et analyse, MIFAO 118/1, Le Caire, 2001, p. 6-9. Ainsi, P/A/N 12-14 signifie PĂ©py Ier, antichambre, paroi nord, col. 12-14 », ce qui permet de localiser aussitĂŽt le texte concernĂ©. Sur la nĂ©cessitĂ© d’interprĂ©ter les Textes des Pyramides en fonction de leur emplacement, voir B. MATHIEU, La signification du serdab dans la pyramide d’Ounas. L’architecture des appartements funĂ©raires royaux Ă  la lumiĂšre des Textes des Pyramides », dans C. Berger, B. Mathieu Ă©d., Études sur l’Ancien Empire et la nĂ©cropole de Saqqara dĂ©diĂ©es Ă  Jean-Philippe Lauer, OrMonsp IX/2, Univ. Paul ValĂ©ry, Montpellier, 1997, p. 289. 8 Bernard Mathieu Autres dĂ©signations Les Enfants d’Horus plutĂŽt que Fils d’Horus », qui serait *S“.w Îr 2 sont appelĂ©s aussi les BouclĂ©s § 339b [TP 263], § 355b [TP 265], § 360c [TP 266], § 724c [TP 412], § 1560b [TP 582], § 1841b [TP 654], les Connus du dieu R≈.w n†r § 815d [TP 440], version N, les Enfants d’Atoum Tm § 2057 [TP 684], les Enfants de Geb Gb § 1510a [TP 576], TP 1003, les Enfants de Nout § 2057 [TP 684], les Nobles du dieu nÚr § 815d [TP 440], la ProgĂ©niture d’Horus / Îr § 647b [TP 370], § 1333a [TP 541], § 1339c [TP 545], la ProgĂ©niture d’Horus de Khem Îr ⁄m § 2078c [TP 688], les Quatre Adolescents fdw ĂŽÂ©â€œ.w § 1104c, 1105a, c [TP 507], les Quatre Connus du roi fdw R≈.w-nsw § 2078a [TP 688], les Quatre Dieux fdw § 1510a [TP 576], § 1548a [TP 580], TP 1046, les Quatre Esprits des Domaines fdw ”≈.w § 842b [TP 452], § 1092b [TP 505], TP 1069, les Quatre Émanations fdw § 2057 [TP 684], les Quatre HĂ©liopolitains fdw § *1955a [TP N667 D] ?, les Quatre Passants fdw Sw“ § 355b [TP 265], les Quatre qui prĂ©sident BouclĂ©s fdw ≈ § 1221a [TP 520], ou encore les Quatre RasĂ©s ? fdw ‥©q[.w... ]n“ TP 1024. Enfin, les Enfants d’Horus peuvent ĂȘtre citĂ©s nommĂ©ment, et dans un ordre, on le verra, qui n’est sans doute pas arbitraire § 149a-b [TP 215], § 552b [TP 338], § 601c [TP 359], § 1092c [TP 505], § 1097b-c [TP 506], § 1228a [TP 522], § 1333b [TP 541], § 1339c [TP 545], § 1483b [TP 573], § 1548b [TP 580], § 1983b [TP 670], § 2078b [TP 688], § 2101b [TP 690], TP 1069. IdentitĂ© conceptuelle Il s’agit bien sĂ»r d’ImsĂ©ti, HĂąpy, Douamoutef et QĂ©behsĂ©nouf, que l’iconographie traditionnelle dote respectivement d’une tĂȘte d’homme, de cynocĂ©phale, de chacal et de faucon, mais on notera que rien, dans les TP, ne fait allusion Ă  cette iconographie diffĂ©renciĂ©e. Les Enfants d’Horus constituent aussi les Baou » dont Horus est pourvu Ìtm § 2101a, le papyrus MAFS T 2147 remplaçant justement Baou » par Enfants » dans sa version du TP 690 3. 2 Pour la traduction Enfants d’Horus » plutĂŽt que Fils d’Horus », cf. CT VI, 110e [TS 520] Úwt s“≠k msw Îr, tu ImsĂ©ti es son fils, un Enfant d’Horus ». 3 C. BERGER-EL NAGGAR, Des Textes des Pyramides sur papyrus dans les archives du temple funĂ©raire de PĂ©py Ier », dans S. Bickel, B. Mathieu Ă©d., D’un monde Ă  l’autre. Textes des Pyramides et Textes des Sarcophages, BiEtud 139, 2004, p. 90, fig. 2. ENIM 1, 2008, p. 7-14 Les Enfants d’Horus, thĂ©ologie et astronomie 9 Il s’agit en rĂ©alitĂ© non des enfants d’Horus le Jeune rnpwtj, le fils d’Osiris, mais de ceux d’Horus l’Ancien – une forme funĂ©raire du crĂ©ateur et donc d’Osiris – et d’Isis, comme l’explicitent les Textes des Sarcophages 4 Jmstj Îpy Dw“ jt≠sny Îr smsw ” pw. ImsĂ©ti, HĂąpy, Douamoutef et QĂ©behsĂ©nouf, leur pĂšre, c’est Horus l’Ancien, leur mĂšre, c’est Isis. Ce passage des TS permet de bien interprĂ©ter le nom Horus » dans le chapitre 112 du Livre des Morts 5 Jr Jmstj Îpy Dw“ jt≠sn Îr ” Quant Ă  ImsĂ©ti, HĂąpy, Douamoutef et QĂ©behsĂ©nouf, leur pĂšre, c’est Horus l’Ancien, leur mĂšre, c’est Isis. C’est en fonction de leur identitĂ© fonciĂšre de fils ou descendants du crĂ©ateur qu’on peut aussi nommer les Enfants d’Horus, selon les cas, Enfants d’Atoum § 2057, Enfants de Geb § 1510a, Enfants de Nout § 2057 ou encore ProgĂ©niture d’Horus de Khem § 2078c. De ce point de vue, les Enfants d’Horus tiennent par rapport au crĂ©ateur une position strictement Ă©quivalente Ă  celle qu’occupent Chou et Tefnout, les enfants jumeaux d’Atoum ou de RĂȘ. Illustration de cette Ă©quivalence paradigmatique, aprĂšs avoir Ă©tabli que les bras et les jambes du dĂ©funt n’étaient autres que les Enfants d’Horus, la formule TP 215 associe ses membres aux jumeaux d’Atoum tes bras, ce sont HĂąpy et Douamoutef – quand tu as besoin de monter au ciel, et tu monteras –, tes jambes, ImsĂ©ti et QebehsĂ©nouf – quand tu as besoin de descendre au Ciel inversĂ©, et tu descendras – tes membres, les jumeaux d’Atoum, les ImpĂ©rissables » § 149a-c. De mĂȘme, dans la formule TP 452, la mention de la puretĂ© de Chou et de la puretĂ© de Tefnout est immĂ©diatement suivie de celle de la puretĂ© des Quatre Esprits § 842a-b. Une Ă©quivalence similaire ressort de la formule TP 338 N n’aura pas soif grĂące Ă  Chou, N n’aura pas faim grĂące Ă  Tefnout, ce sont HĂąpy, Douamoutef, QĂ©behsĂ©nouf et ImsĂ©ti qui chasseront cette faim qui est dans le ventre de N, cette soif qui est sur les lĂšvres de N » § 552a-d. Autre indice clair de ce parallĂ©lisme, de mĂȘme que Chou et Tefnout incarnent la Vie et la MaĂąt, selon un passage cĂ©lĂšbre des TS 6, on dit prĂ©cisĂ©ment des Enfants d’Horus dans les TP qu’ils vivent de MaĂąt » ©n≈.jw m M“©.t § 1483b. Autant dire que ces quadruplĂ©s » forment une Ă©manation quadripartite du crĂ©ateur dont la fonction est Ă  considĂ©rer d’une maniĂšre plus conceptuelle que gĂ©nĂ©alogique ; les nommer les Quatre Émanations fdw § 2057, en effet, revient Ă  voir en eux, avant tout, une expansion de l’unitĂ© du principe crĂ©ateur Tm. Il est important de prĂ©ciser ici que le crĂ©ateur, prĂ©cisĂ©ment, ne les engendre pas jrj, mais qu’il les enfante msj, de mĂȘme qu’il crĂ©e leur nom § 1983c, TP 1069, un rĂŽle traditionnellement dĂ©volu, comme on sait, Ă  la mĂšre 7. C’est qu’il est question ici de gĂ©nĂ©tique divine, oĂč le gĂ©niteur est Ă  la fois pĂšre et mĂšre, et, plus encore, d’un discours mĂ©taphorique sur l’essence du divin. IdentitĂ© fonctionnelle Plus conceptuelle aussi qu’anatomique est l’association de HĂąpy et Douamoutef aux bras du dĂ©funt et de ImsĂ©ti et QebehsĂ©nouf Ă  ses jambes § 149a-b. C’est Ă  ce titre bien sĂ»r que les Enfants d’Horus peuvent porter » le dĂ©funt f“j § 637c, 1338c, 1340a, *1823b, 1829b, le soulever » 4 CT II, 345c-346a [TS 157]. Papyrus de Nou, BM 10477. 6 CT II, 32d-e [TS 80] Âąn≈ rn≠f M“©.t rn≠s, son nom Ă  lui est Vie, son nom Ă  elle est MaĂąt ». 7 G. POSENER Sur l’attribution d’un nom Ă  un enfant », RdE 22, 1970, p. 204-205. 5 10 Bernard Mathieu wÚs § 619b, *1824h ou le redresser » Ús § *1897a, 1983a. On rappellera que ce jeu d’association est clairement illustrĂ© par un principe de dĂ©coration des cercueils, oĂč les inscriptions concernant deux des Enfants d’Horus gĂ©nĂ©ralement HĂąpy et ImsĂ©ti sont situĂ©es prĂšs de la tĂȘte nord tandis que les inscriptions concernant les deux autres sont situĂ©es prĂšs des pieds sud 8. C’est parce qu’ils portent le dĂ©funt que les Enfants d’Horus sont susceptibles de lui apporter le bac du passeur confectionnĂ© par Khnoum § 1228a-b ou de fabriquer l’échelle qui lui permettra de monter au ciel § 2078a-2079d. Soutiens du dĂ©funt et Ă©tais du cercueil, les Enfants d’Horus sont fort logiquement susceptibles de reprĂ©senter, dans les TS, les quatre piliers du ciel. DĂšs les TP, du reste, les Enfants d’Horus sont rĂ©partis par couple de part et d’autre du dĂ©funt Ces quatre Esprits qui sont avec N, ce sont HĂąpy, Douamoutef, ImsĂ©ti et QĂ©behsĂ©nouf, deux d’un cĂŽtĂ© et deux de l’autre » § 1092b-d. On les trouve Ă©galement assis sur le cĂŽtĂ© oriental du ciel
, ces quatre adolescents aux cheveux noirs de jais, assis Ă  l’ombre de la tour de Qati » § 1105b-d, comme s’ils gardaient l’Orient de l’univers. C’est une rĂ©partition nord-sud, on s’en souvient, qui sera adoptĂ©e dans la tombe royale d’AĂż, oĂč Douamoutef et QebehsĂ©nouf portent la couronne blanche, tandis qu’ImsĂ©ti et HĂąpy portent la couronne rouge. De maniĂšre plus Ă©laborĂ©e encore, les Enfants d’Horus peuvent ne constituer que le flanc droit gs jmnj du dĂ©funt, assimilĂ© Ă  Horus, tandis que le flanc gauche gs j“btj, Ă  savoir Seth, est composĂ© du groupe quadripartite et partiellement fĂ©minin Celui qui a frappĂ© DjĂ©nĂ©dĂ©rou, Celui qui prĂ©side Ă  ses deux colonnes, Nephthys et MĂ©khenti-irti § 601c-f. On voit clairement Ă  l’Ɠuvre ici un processus rationnel, presque cartĂ©sien », de subdivision, depuis le crĂ©ateur unique jusqu’à la rĂ©partition en huit instances divines en passant par le couple Chou et Tefnout et les quatre Enfants d’Horus, processus destinĂ© Ă  expliciter la dĂ©finition d’un concept compact. Ce passage annonce aussi le couplage futur de chacun des Enfants d’Horus avec l’une des quatre dĂ©esses protectrices que sont Isis ImsĂ©ti, Nephthys HĂąpy, Neith Douamoutef et Serqet QĂ©behsĂ©nouf, dont le coffret d’albĂątre de ToutĂąnkhamon fournit l’une des plus cĂ©lĂšbres illustrations. Les Enfants d’Horus sont censĂ©s avoir frappĂ© au sang l’adversaire du dĂ©funt § 643b. Une formule leur attribue, comme offrande carnĂ©e, le contenu des entrailles de l’adversaire d’Osiris § 1548a-b ; une autre leur rĂ©serve Ă  chacun une partie du corps de cet adversaire Ils les Quatre Esprits te l’amĂšreront, sacrifiĂ© comme un taureau de sacrifice, Ă©tendu comme un taureau Ă©tendu, transpercĂ© comme un taureau transpercĂ©, sa tĂȘte Ă©tant pour HĂąpy, son Ă©paule pour Douamoutef, ses cĂŽtes pour QĂ©behsĂ©nouf, le contenu de ses entrailles pour ImsĂ©ti » TP 1069. Enfants d’Horus et gĂ©nĂ©tique funĂ©raire Du point de vue des conceptions funĂ©raires, les Enfants d’Horus, rĂ©partis dans la cuve Ă  canopes » ou les vases canopes », permettent de complĂ©ter la reconstitution du corps du dĂ©funt en lui restituant ses viscĂšres ou Ă©lĂ©ments mous » et en recomposant ainsi son ventre » ou tronc » rĂ©ceptacle matĂ©riel ou contenant » dont la conscience jb est le contenu » immatĂ©riel 9. 8 Sur le lien entre HĂąpy et ImsĂ©ti et les bras, d’une part, et Douamoutef et QebehsĂ©nouf avec les jambes, d’autre part, qui s’explique par ou qui explique la dĂ©coration des cercueils, cf. CT VI, 391r-392d [TS 761] et H. WILLEMS, Chests of Life, MVEOL 25, Leiden, 1988, p. 140-141 ; G. MEURER, Die Feinde des Königs in den Pyramidentexten, OBO 189, 2002, p. 186-187. 9 Sur l’association des Enfants d’Horus avec les viscĂšres du dĂ©funt, voir par exemple GARDINER, AEO II, p. 245*253* ; S. AUFRÈRE, RdE 36, 1985, p. 23-24 et n. 25. Sur le rĂŽle des Enfants d’Horus / vases canopes dans la gĂ©nĂ©tique » funĂ©raire, voir principalement Th. BARDINET, Les Papyrus mĂ©dicaux de l’Égypte pharaonique, Fayard, ENIM 1, 2008, p. 7-14 Les Enfants d’Horus, thĂ©ologie et astronomie 11 Le processus est Ă©voquĂ© dans la formule TP 580 le contenu de ses entrailles appartient Ă  ces quatre dieux, les Enfants d’Horus bien-aimĂ©s, HĂąpy, ImsĂ©ti, Douamoutef, QĂ©behsĂ©nouf » § 1548ab. Mais aussi dans le TP 595 Je t’apporte ta conscience pour te la placer dans ton ventre, comme Horus a apportĂ© la conscience Ă  sa mĂšre Isis, comme Isis a apportĂ© la conscience Ă  son fils Horus » § 1640a-c. Ces nouveaux viscĂšres », Ă  la diffĂ©rence des organes humains, sont imputrescibles C’est N, l’unique de ces Quatre Êtres, les Enfants d’Atoum et les Enfants de Nout, qui ne sauraient se putrĂ©fier – ce N ne se putrĂ©fiera pas, qui ne sauraient se corrompre – ce N ne se corrompra pas, qui ne sauraient tomber du ciel Ă  terre – ce N ne tombera pas du ciel Ă  terre » § 2057-2058d. C’est sans doute en raison de cette fonction spĂ©cifique qu’on voit les Enfants d’Horus intervenir dans des actes rituels comme celui de laver le visage du dĂ©funt § 601b-c, 1983b-d, de le purifier § 842b, de lui ouvrir la bouche § 1983b-e, ou d’apaiser sa faim et Ă©tancher sa soif § 552a-d. Rien ne permet d’affirmer que dĂšs les TP les Enfants d’Horus sont associĂ©s chacun Ă  un organe spĂ©cifique, mĂȘme si la chose est probable. La documentation postĂ©rieure produit gĂ©nĂ©ralement le systĂšme suivant ImsĂ©ti foie HĂąpy poumons et bronches wf“w, parfois la rate n‡nm Douamoutef rate, parfois poumons ou estomac mnƒr QĂ©behsĂ©nouf *intestins et autres viscĂšres FondĂ©e sur une paronomase forte / l’association systĂ©matique ImsĂ©ti-foie a de bonnes chances d’ĂȘtre particuliĂšrement ancienne et dĂ©jĂ  Ă  l’Ɠuvre au moment de la rĂ©daction des TP. Quant Ă  l’association QĂ©behsĂ©nouf-intestins, tout aussi systĂ©matique et sans doute ancienne elle aussi, elle pourrait expliquer le rĂŽle majeur que joue manifestement ce personnage au sein du quatuor ; le mot intestin », en effet, signifie Ă©tymologiquement ce qui est dans le ventre » ; QĂ©behsĂ©nouf pouvait ainsi, Ă  lui seul, reprĂ©senter collectivement l’ensemble de la progĂ©niture. Le caractĂšre Ă©minent de QĂ©behsĂ©nouf ressort Ă©galement, comme on va le voir, dans le domaine des reprĂ©sentations astronomiques. Enfants d’Horus et astronomie un double astĂ©risme Les Enfants d’Horus ont, de fait, suscitĂ© des astĂ©rismes chez les Égyptiens, c’est-Ă -dire que leur ont Ă©tĂ© attribuĂ©s des correspondants astronomiques, dans le ciel du sud comme dans le ciel du nord 10. Le ciel du sud, en effet, offrait un bel exemple d’astĂ©risme dans lequel un groupe de trois Ă©toiles, notre Baudrier d’Orion, apparaĂźt comme entourĂ© de quatre autres ; il Ă©tait aisĂ© d’y reconnaĂźtre Osiris protĂ©gĂ© par les quatre Enfants d’Horus, c’est-Ă -dire, rappelons-le, ses propres Ă©manations. Coll. Penser la mĂ©decine », Paris, 1995, p. 74-79. Sur le motif iconographique des Enfants d’Horus dressĂ©s sur le lotus, voir Fr. SERVAJEAN, Le lotus Ă©mergeant et les quatre Enfants d’Horus analyse d’une mĂ©taphore physiologique », dans, S. AufrĂšre Ă©d., EncyclopĂ©die religieuse de l’univers vĂ©gĂ©tal II, OrMonsp XI, 2001, p. 261-297 mais l’analyse de l’auteur entĂ©rine la confusion entre Horus l’Ancien et Horus le Jeune, ce dernier Ă©tant considĂ©rĂ© comme le pĂšre des Enfants d’Horus. 10 Le sujet est abordĂ© par W AINWRIGHT, A pair of Constellations », dans Studies presented to Ll. Griffith, London, 1932, p. 373-382 ; M. ROCHHOLZ, Schöpfung Feindvernichtung, Regeneration, Untersuchung zum Symbolgehalt der machtgeladenen Zahl 7 im alten Ägypten, ÄAT 56, Wiesbaden, 2002, p. 25-34. 12 Bernard Mathieu Ainsi se comprend la prĂ©cision gĂ©ographique donnĂ©e Ă  propos des Nobles du dieu, penchĂ©s sur leurs supports djĂąm, qui veillent sur la Haute-Égypte » § 816a [TP 440]. La formule TP N570 A version P semble bien faire allusion elle aussi Ă  cet astĂ©risme Dieux du ciel inversĂ©, ImpĂ©rissables, qui parcourez le pays des Libyens appuyĂ©s sur vos sceptres djĂąm, ce N s’appuiera avec vous sur le sceptre ouas et le sceptre djĂąm, car c’est N, votre quatriĂšme ! Dieux du ciel inversĂ©, ImpĂ©rissables, qui parcourez le pays des Libyens appuyĂ©s sur vos sceptres djĂąm, ce N s’appuiera avec vous sur le sceptre ouas et le sceptre djĂąm, car c’est N, votre cinquiĂšme ! » § 1456b-1458a. On est tentĂ© de voir dans ces ImpĂ©rissables les Ă©toiles principales de l’astĂ©risme de Sah notre Baudrier d’Orion. Le dĂ©funt serait ainsi assimilĂ©, en tant que quatriĂšme, Ă  l’étoile de plus forte magnitude Rigel = QĂ©behsĂ©nouf parmi les quatre qui entourent le Baudrier BĂ©telgeuse, Bellatrix, SaĂŻph, Rigel = alpha, gamma, kappa, bĂȘta Orionis, et, en tant que cinquiĂšme, au Baudrier d’Orion lui-mĂȘme Osiris, entourĂ© des quatre Enfants d’Horus. La cinquiĂšme stance de l’ hymne numĂ©rique » 11 Ă©voque subtilement Osiris, sous le nom rĂ©vĂ©lateur de TĂ©nĂ©breux », et sous la forme du Baudrier d’Orion S“Ì, dont les Enfants d’Horus sont les voisins s“ H“~n N n m““ Tnmw djw-nw≠Ún sb“.w s“ S“Ì. Ce N est descendu pour voir le TĂ©nĂ©breux, votre cinquiĂšme, astres qui ĂȘtes voisins d’Orion 12. Le ciel du nord fournissait lui aussi, avec notre Grande Ourse, un magnifique astĂ©risme susceptible d’intĂ©grer la figure d’Osiris et celles des Quatre Enfants. On sait par le chapitre 17 du Livre des Morts que les Enfants d’Horus faisaient partie intĂ©grante de cette constellation Jr ƒ“ƒ“.t Ì“ Wsjr, Jmstj Îpy Dw“ n“ pw m-s“ p“ ⁄p‡ m Quant Ă  l’assemblĂ©e qui entoure Osiris, Ă  savoir ImsĂ©ti, HĂąpy, Douamoutef et QĂ©behsĂ©nouf, ce sont ceux qui se trouvent Ă  l’arriĂšre de la Patte avant Grande Ourse dans le ciel du nord 13. Mais Ă  la diffĂ©rence de ce qui se passait dans le ciel du sud, Osiris y est invisible, et aux quatre Enfants d’Horus sont joints trois divinitĂ©s supplĂ©mentaires qui complĂštent la constellation Jr ”≈.w 7 Jmstj Îpy Dw“ QbÌ-snw≠f M““-jt≠f ßry-b“q≠f Îr-⁄ rd≠tw≠sn jn Jnpw m s“ ny.t Wsjr. Et quant Ă  ces sept Esprits, ImsĂ©ti, HĂąpy, Douamoutef, QĂ©behsĂ©nouf, Maaitef, KhĂ©rybaqef et HorusKhentyirty, ils ont Ă©tĂ© placĂ©s par Anubis comme protection de la sĂ©pulture d’Osiris. La prĂ©sence parallĂšle des Enfants d’Horus dans les deux ciels apparaĂźt dans la formule TP 576 C’est N, l’un de ces Quatre Dieux, Enfants de Geb, qui parcourent la Haute-Égypte et qui parcourent la Basse-Égypte, debout sur leurs sceptres djĂąm, oints d’huile hatet, vĂȘtus d’étoffe idĂ©mi, qui vivent de figues et boivent du vin » § 1510a-1511b. Le fait qu’Osiris Horus l’Ancien soit 11 Il s’agit d’une suite de neuf formules, distinctes les unes des autres mais formant un groupe cohĂ©rent, dont chacune contient au moins un terme Ă©voquant ou dĂ©signant un ordinal premier reprĂ©sentĂ© par le mot Wr, VĂ©nĂ©rable », deuxiĂšme sn-nw, troisiĂšme ≈mt-nw, quatriĂšme fdw-nw, cinquiĂšme djw-nw, sixiĂšme sjsw-nw, septiĂšme sf≈-nw, huitiĂšme ≈mnw-nw et neuviĂšme reprĂ©sentĂ© par le verbe psƒ, briller. Cette composition, Ă  prĂ©sent, est attestĂ©e six fois dans le corpus des TP chez TĂ©ti, sur la paroi nord de l’antichambre T/A/N 47-52, en deux endroits chez PĂ©py Ier, sur la paroi nord de l’antichambre P/A/N 12-14 et sur la paroi ouest de la section antĂ©rieure » de la descenderie P/D ant/W 1-10 = P 791-798, chez MĂ©renrĂȘ, sur la partie ouest de la paroi nord de la chambre funĂ©raire M/F/Nw B 40-42 et C 1-11, chez PĂ©py II, sur la partie ouest de la paroi nord de la chambre funĂ©raire N/F/Nw A 3-7 = N 577-579+1, et enfin chez Neit, Ă©galement sur la partie ouest de la paroi nord de la chambre funĂ©raire Nt/F/Nw A 9-15 = Nt 9-15. 12 § 1579 [TP N585 E] = § 1852 [TP N657 C] = § *2268e [TP N738 C]. 13 Papyrus de NebsĂ©ny, BM 9900. ENIM 1, 2008, p. 7-14 Les Enfants d’Horus, thĂ©ologie et astronomie 13 doublement prĂ©sent, dans le ciel du sud et le ciel du nord, est magnifiquement exprimĂ© dans le Spell 1143 des Textes des Sarcophages 14 Îr smsw Ìry-jb sb“.w Ìry.w ≈ft ßry.w. Horus l’Ancien qui es au cƓur des astres d’en haut comme des astres d’en bas. Enfants d’Horus et astronomie ordres de succession En conclusion de ces analyses, la question se pose de la pertinence de l’ordre de prĂ©sentation des Enfants d’Horus lorsqu’ils sont citĂ©s nominativement. La succession HĂąpy, Douamoutef, ImsĂ©ti, QĂ©behsĂ©nouf HDIQ, majoritaire dans les TP § 149a-b, 1092c, 1097b-c, 1333b, 1339c, 2101b, semble bien se rapporter aux Ă©toiles entourant le Baudrier d’Orion S“Ì en Ă©gyptien HĂąpy, Douamoutef correspondraient Ă  BĂ©telgeuse alpha et Bellatrix gamma, tandis que ImsĂ©ti kappa et QĂ©behsĂ©nouf bĂȘta correspondraient Ă  SaĂŻph et Rigel la plus brillante. La formule TP 215, dĂ©jĂ  citĂ©e, paraĂźt assez explicite tes bras, ce sont HĂąpy et Douamoutef — quand tu as besoin de monter au ciel, et tu monteras –, tes jambes, ImsĂ©ti et QebehsĂ©nouf – quand tu as besoin de descendre au Ciel inversĂ©, et tu descendras — tes membres, les jumeaux d’Atoum, les ImpĂ©rissables » § 149a-c ; l’astĂ©risme d’Orion comme figurant le tronc d’Osiris auquel se rattachent bras et jambes se dessine ici clairement, mĂȘme si elle n’était pas encore explicite au moment de la rĂ©daction des TP. La formule TP 505 va dans le mĂȘme sens Ces quatre Esprits qui sont avec N, ce sont HĂąpy, Douamoutef, ImsĂ©ti et QĂ©behsĂ©nouf, deux d’un cĂŽtĂ© et deux de l’autre » § 1092b-d. La succession ImsĂ©ti, HĂąpy, Douamoutef, QĂ©behsĂ©nouf IHDQ, quant Ă  elle, Ă©voquerait plutĂŽt les quatre Ă©toiles formant le quadrilatĂšre de la Grande Ourse Megrez, Phecda, Merak, Dubhe la plus brillante = delta, gamma, beta, alpha Ursa Major. C’est ce qui ressort du chapitre 17 de Livre des Morts citĂ© plus haut quant Ă  l’assemblĂ©e qui entoure Osiris, Ă  savoir ImsĂ©ti, HĂąpy, Douamoutef et QĂ©behsĂ©nouf, ce sont ceux qui se trouvent Ă  l’arriĂšre de l’Épaule dans le ciel du nord », mais aussi de la formule TP 688, oĂč les Enfants d’Horus, Ă©numĂ©rĂ©s dans le mĂȘme ordre, sont nommĂ©s ProgĂ©niture d’Horus de Khem LĂ©topolis », et par consĂ©quent localisĂ©e au Nord. On doit signaler un seul contre-exemple, sur les quatorze cas oĂč les Enfants d’Horus sont listĂ©s, dans lequel la sĂ©quence IHDQ Ă©voque Orion c’est ce N, l’unique de ces quatre dieux, ImsĂ©ti, HĂąpy, Douamoutef, QĂ©behsĂ©nouf, qui vivent de MaĂąt, appuyĂ©s sur leur sceptres djĂąm, les veilleurs du Pays du Sud » § 1483a-d. Les autres configurations, dans cette hypothĂšse, n’ont pas de lĂ©gitimitĂ© astronomique dĂ©finie ; minoritaires, elles n’interviennent pas, de fait, dans un contexte astronomique mais dans celui du rituel funĂ©raire il s’agit de HDQI § 552b, TP 1069 et de HIDQ § 1228a, 1548b. Les deux figures ci-dessous tentent de rendre compte, de la maniĂšre la plus simple, de ce qu’a pu ĂȘtre, dans les temps anciens, la double transposition astronomique des Enfants d’Horus, Ă©manations conceptuelles du principe crĂ©ateur. 14 CT VII, 491h. 14 Bernard Mathieu Ciel du sud, Orion. Osiris visible Baudrier entourĂ© par les Enfants d’Horus Ciel du nord, Grande Ourse. Osiris invisible entourĂ© par les Enfants d’Horus suivis de leurs trois compagnons ENIM 1, 2008, p. 7-14 RĂ©sumĂ© Les Enfants d'Horus thĂ©ologie et astronomie. Une enquĂȘte menĂ©e sur les Enfants d'Horus HĂąpy, Douamoutef, ImsĂ©ti et QĂ©behsĂ©nouf dans les Textes des Pyramides permet de mettre en relief leur vĂ©ritable identitĂ© thĂ©ologique, leurs fonctions essentielles, ainsi que les correspondants que les Égyptiens leur avaient attribuĂ©s dans le ciel nocturne, au sein des constellations que nous nommons Orion et la Grande Ourse. Abstract The Sons of Horus Theology and Astronomy A synthetic study of the Sons of Horus HĂąpy, Duamutef, Imseti and Qebehsenuf in the Pyramid Texts is proposed, showing their genuine theological nature, their main functions, and the celestial correspondants the Egyptian gave them in the night sky, inside the constellations we call Orion and Great Bear Ursa Major. ENiM – Une revue d’égyptologie sur internet.
Tes pas Ă©cƓurĂ© d'ĂȘtre le sous-fifre de la bourrique? Au moins le cardinal a le mĂ©rite de perdre sa vie Ă  Ă©crire de longs et insignifiants messages que personne ne lit, alors que toi, junior, ne
L’oeil d’Horus est un documentaire d’une profondeur incroyable sur l’Egypte Ancienne, qui est prĂ©sentĂ© non pas du point de vue de l’Egyptologie classique, mais d’un point de vue Ă©sotĂ©rique, qui met clairement en Ă©vidence la nature cyclo-cosmique du temps, de la mĂȘme maniĂšre que La rĂ©vĂ©lation des pyramides. Ainsi tous les 25 000 ans, un grand cataclysme dĂ©truirait les civilisations et les Égyptiens, seraient des survivants de l’Atlantide, qui seraient Ă  l’origine de la construction du sphinx et des grandes pyramides. Il est exposĂ©, que contrairement aux idĂ©es rĂ©pandues, cette civilisation n’était pas polythĂ©iste reconnaissance de plusieurs dieux mais bien monothĂ©iste, et que les reprĂ©sentations symbolisent des attributs du Divin. L’oeil d’Horus 1 L’École des MystĂšres L’oeil d’Horus 2 Osiris Seigneur de la RĂ©incarnation L’oeil d’Horus 03 Le Sphinx, Gardien de l’Horizon, GenĂšse de la Connaissance L’oeil d’Horus 04 La Fleur de la Vie L’oeil d’Horus 05 Saqqarah, Le Complexe de Cristal L’oeil d’Hous 06 Saqqarah, La Machine Quantique L’oeil d’Horus 07 Dendera, Berceau de l’Astronomie Livres sur le sujet Le cycle de l’humanitĂ© adamique Introduction Ă  l’étude de la cyclologie traditionnelle 0 0 votes Évaluation de l'article
M Crowley et son O.T.O. entretiennent des liens avec des membres de haut niveau des gouvernements britannique et amĂ©ricain, ainsi qu’avec des personnalitĂ©s influentes des milieux scientifiques, juridiques et culturels. L’élite mondiale, dominĂ©e par les valeurs Illuministes, est en parfait accord avec la Thelema de Crowley.

1 L’identitĂ© du macrocosme et du microcosme est semble-t-il ce qui a fascinĂ© Marguerite Yourcenar da ... 1ƒuvre mĂ©ditative autant que narrative, les MĂ©moires d’Hadrien ont assez d’ampleur pour embrasser tout un empire, assez de hauteur pour relier l’avenir au souvenir. Si la profondeur du texte tient Ă  la complexitĂ© du feuilletage gĂ©nĂ©rique et Ă  la densitĂ© de l’expĂ©rience du protagoniste, elle relĂšve Ă©galement d’un vertigineux jeu de miroirs qui confine Ă  la mise en abĂźme. L’histoire de l’homme dans l’empire est aussi l’histoire de l’un dans le tout. Tout nous Ă©chappe, et tous, et nous-mĂȘme », concĂšde Marguerite Yourcenar dans les Carnets de notes p. 331. Dans ce demi-aveu de faiblesse de l’écrivain rĂ©side sans doute la clef de sa force la certitude humaniste qu’il n’existe pas de solution de continuitĂ© de tout » Ă  nous-mĂȘme », que le microcosme d’un ĂȘtre peut reflĂ©ter le macrocosme des hommes, et le microcosme d’un livre, le macrocosme du monde1. Aussi les MĂ©moires d’Hadrien peuvent-ils se lire comme une Ɠuvre rĂ©flexive, voire autorĂ©flexive. Dans le livre, la bibliothĂšque 2 Sur les rapports de Marguerite Yourcenar et Jorge Luis Borges, voir Achmy Halley, Marguerite Yourc ... 2Grande admiratrice de Borges2, auquel elle rendit visite six jours avant qu’il ne meure, Marguerite Yourcenar avait comme lui la fascination du labyrinthe Le Labyrinthe du monde, tel est le titre qu’elle donne Ă  sa trilogie familiale, et le territoire que ne cesse d’explorer son Ɠuvre. Comme Borges toujours, elle sait qu’une bibliothĂšque est tout ensemble un monde et un labyrinthe ; nouvelle Ariane, elle invite le lecteur Ă  suivre le fil des lectures d’Hadrien, qui en disent aussi beaucoup sur son propre monde de livres. La bibliothĂšque d’Hadrien 3 L’une des meilleures maniĂšre de recrĂ©er la pensĂ©e d’un homme reconstituer sa bibliothĂšque » dans cette remarque des Carnets de notes p. 327, Marguerite Yourcenar livre l’un des secrets de fabrication » de son ouvrage, qui n’a cependant rien de la mĂ©thode servilement appliquĂ©e. La nĂ©cessitĂ© de cette reconstitution s’est, Ă  l’en croire, imposĂ©e Ă  elle comme en dĂ©pit d’elle Durant des annĂ©es, d’avance, et sans le savoir, j’avais ainsi travaillĂ© Ă  remeubler les rayons de Tibur » ibid. De ces recherches mi-archĂ©ologiques, mi-bibliophiliques, les MĂ©moires d’Hadrien portent la trace. Ils sont jalonnĂ©s d’allusion aux lectures du protagoniste, qui agissent comme autant d’élĂ©ments de caractĂ©risation d’Hadrien. Mais dans les goĂ»ts, les dĂ©goĂ»ts et les engouements littĂ©raires du personnage se lisent aussi, souvent en creux, certains choix littĂ©raires de l’auteur. 4Que les prĂ©fĂ©rences littĂ©raires d’un individu contribuent Ă  le dĂ©finir, la diĂ©gĂšse le suggĂšre comme les paratextes. Ainsi, lorsqu’Hadrien veut caractĂ©riser Lucius, il Ă©voque le poĂšte favori de l’adolescent, dont le nom seul suffit Ă  dessiner l’audace sĂ©duisante du jeune patricien Martial Ă©tait son Virgile il rĂ©citait ses poĂ©sies lascives avec une effronterie charmante » p. 122. Mais Lucius est surtout saisi Ă  travers le prisme du regard et des lectures d’Hadrien trĂšs vite, c’est Ă  ses propres goĂ»ts que celui-ci recourt pour complĂ©ter le portrait, et il affirme ainsi comme incidemment sa prĂ©fĂ©rence pour la poĂ©sie amoureuse, qu’elle appartienne aux temps passĂ© de la GrĂšce, avec Callimaque, ou qu’elle lui soit contemporaine, avec Straton L’image de Lucius adolescent se confine Ă  des recoins plus secrets du souvenir un visage, un corps, l’albĂątre d’un teint pĂąle et rose, l’exact Ă©quivalent d’une Ă©pigramme amoureuse de Callimaque, de quelques lignes nettes et nues du poĂšte Straton » ibid. 5TrĂšs tĂŽt dans sa lettre Ă  Marc AurĂšle, Hadrien a en effet affirmĂ© sa passion de la poĂ©sie. Épris de rhĂ©torique, il dit avoir Ă©tĂ© plus profondĂ©ment marquĂ© encore par ses lectures poĂ©tiques. L’amateur de la vie et de ses plaisirs est mĂȘme alors tentĂ© de donner la prĂ©sĂ©ance Ă  la littĂ©rature La lecture des poĂštes eut des effets plus bouleversants encore ; je ne suis pas sĂ»r que la dĂ©couverte de l’amour soit nĂ©cessairement plus dĂ©licieuse que celle de la poĂ©sie. Celle-ci me transforma l’initiation Ă  la mort ne m’introduira pas plus loin dans un autre monde que tel crĂ©puscule de Virgile. Plus tard, j’ai prĂ©fĂ©rĂ© la rudesse d’Ennius, si prĂšs des origines sacrĂ©es de la race, ou l’amertume savante de LucrĂšce, ou, Ă  la gĂ©nĂ©reuse aisance d’HomĂšre, l’humble parcimonie d’HĂ©siode. J’ai goĂ»tĂ© surtout les poĂštes les plus compliquĂ©s et les plus obscurs, qui obligent ma pensĂ©e Ă  la gymnastique la plus difficile, les plus rĂ©cents ou les plus anciens, ceux qui me frayent des voies toutes nouvelles ou m’aident Ă  retrouver les pistes perdues. Mais, Ă  cette Ă©poque, j’aimais surtout dans l’art des vers ce qui tombe le plus immĂ©diatement sous les sens, le mĂ©tal poli d’Horace, Ovide et sa mollesse de chair. p. 44 6Dans cette Ă©numĂ©ration, Marguerite Yourcenar rĂ©unit bien des traits caractĂ©ristiques de son personnage, changeant, variable, attirĂ© Ă  la fois par la puretĂ© de l’expression et la complexitĂ© de l’esprit humain, aimantĂ© par les extrĂȘmes, fascinĂ© par la GrĂšce et attachĂ© Ă  Rome. Mais ce qu’Hadrien Ă©prouve au fil de ses lectures reflĂšte Ă©galement ce que Marguerite Yourcenar offre Ă  ses lecteurs une Ɠuvre narrative, comme celles des poĂštes Ă©piques, mythique, comme celle d’HĂ©siode et mĂ©ditative, comme celle de LucrĂšce, mais aussi une ouverture vers un autre monde » d’amour et de mort, que l’on pĂ©nĂštre au prix, sinon d’une gymnastique difficile », du moins d’un effort de comprĂ©hension, et dans lequel on parcourt autant de voies nouvelles » que de pistes perdues ». Ces pistes perdues », l’empereur les explore de nouveau aprĂšs la mort d’AntinoĂŒs, et les Ă©voque dans une mĂ©ditation sur ses lectures qui constitue en quelque sort le double endeuillĂ© de celle de Varius, multiplex, multiformis ». Ses choix se sont alors resserrĂ©s, ses goĂ»ts se sont muĂ©s en obsessions, mais l’auteur entremĂȘle de nouveau les caractĂ©ristiques de son personnage et celles de sa propre Ă©criture Les poĂštes aussi m’occupĂšrent ; j’aimais Ă  conjurer hors d’un passĂ© lointain ces quelques voix pleines et pures. Je me fis un ami de ThĂ©ognis, l’aristocrate, l’exilĂ©, l’observateur sans illusion et sans indulgence des affaires humaines, toujours prĂȘt Ă  dĂ©noncer ces erreurs et ces fautes que nous appelons nos maux. Cet homme avait goĂ»tĂ© aux dĂ©lices poignantes de l’amour ; [...] l’immortalitĂ© qu’il promettait au jeune homme de MĂ©gare Ă©tait mieux qu’un vain mot, puisque ce souvenir m’atteignait Ă  une distance de plus de six siĂšcles. Mais, parmi les anciens poĂštes, Antimaque surtout m’attacha ; j’apprĂ©ciais ce style obscur et dense, ces phrases amples et pourtant condensĂ©es Ă  l’extrĂȘme, grandes coupes de bronze emplies d’un vin lourd. [...] Il avait passionnĂ©ment pleurĂ© sa femme LydĂ© ; il avait donnĂ© le nom de cette morte Ă  un long poĂšme oĂč trouvaient place toutes les lĂ©gendes de douleur et de deuil. Cette LydĂ©, que je n’aurais peut-ĂȘtre pas remarquĂ©e vivante, devenait pour moi une figure familiĂšre, plus chĂšre que bien des personnages fĂ©minins de ma propre vie. Ces poĂšmes, pourtant presque oubliĂ©s, me rendaient peu Ă  peu ma confiance en l’immortalitĂ©. p. 235-236 7Les styles respectifs de ThĂ©ognis et Antimaque ne sont pas sans rapport avec celui que Marguerite Yourcenar prĂȘte Ă  Hadrien, sans illusion et sans indulgence », dense », ample et pourtant condensĂ© Ă  l’extrĂȘme », et de mĂȘme que ThĂ©ognis et Antimaque assurent l’immortalitĂ© de Cyrnus et LydĂ©, Marguerite Yourcenar fait revivre Hadrien et AntinoĂŒs, les rend, le temps d’une lecture, plus familiers aux lecteurs que leurs contemporains. 3 Marguerite Yourcenar elle-mĂȘme dĂ©signe trĂšs clairement MĂ©moires d’Hadrien comme une Ɠuvre poĂ©tique ... 4 Sur ce sujet, voir RĂ©my Poignault, Hadrien et le monde des lettres », dans L’AntiquitĂ© dans l’Ɠu ... 5 Les messages affluĂšrent ; PancratĂšs m’envoya son poĂšme enfin terminĂ© ; ce n’était qu’un mĂ©diocre ... 8La poĂ©sie, en particulier amoureuse ou Ă©lĂ©giaque, occupe ainsi une large part de la bibliothĂšque d’Hadrien ; c’est encore Ă  ce genre qu’il se rĂ©fĂšre pour retracer l’atmosphĂšre qui enveloppe ses liaisons adultĂšres avec des patriciennes C’était le monde de Tibulle et de Properce une mĂ©lancolie, une ardeur un peu factice, mais entĂȘtante comme une mĂ©lodie sur le mode phrygien » p. 74. Le théùtre en revanche semble tenir peu de place dans son paysage littĂ©raire hormis le texte de Lycophron lu lors de la rencontre avec AntinoĂŒs p. 169, l’unique Ă©vocation d’une piĂšce de théùtre rĂ©side dans l’anecdote sinistre de la tĂȘte de Crassus lancĂ©e de main en main comme une balle au cours d’une reprĂ©sentation des Bacchantes d’Euripide, qu’un roi barbare frottĂ© d’hellĂ©nisme donnait au soir d’une victoire » p. 93 – la catharsis fait alors totalement dĂ©faut, puisque Crassus dĂ©capitĂ© redouble l’horreur de PenthĂ©e dĂ©membrĂ©. L’histoire, en revanche, figure en bonne place dans les lectures d’Hadrien. L’entreprise historique, mĂȘme menĂ©e sans gĂ©nie, lui semble toujours estimable, ainsi qu’en tĂ©moigne sa remarque Ă  propos de PhlĂ©gon Le style de PhlĂ©gon est fĂącheusement sec, mais ce serait dĂ©jĂ  quelque chose que de rassembler et d’établir les faits » p. 235. Au mĂȘme titre que la poĂ©sie, l’histoire est dotĂ©e d’une puissance Ă©motionnelle telle que les vies lues transcendent l’expĂ©rience vĂ©cue ; la rencontre avec Plutarque, bien que relatĂ©e sur le mode pudique de l’allusion, constitue ainsi Ă  n’en pas douter l’un des sommets de la vie littĂ©raire d’Hadrien, et peut-ĂȘtre de toute son existence À ChĂ©ronĂ©e, oĂč j’étais allĂ© m’attendrir sur les antiques couples d’amis du Bataillon SacrĂ©, je fus deux jours l’hĂŽte de Plutarque. J’avais eu mon Bataillon SacrĂ© bien Ă  moi, mais, comme il m’arrive souvent, ma vie m’émouvait moins que l’histoire » p. 87. PoĂ©sie, histoire, les genres favoris de l’empereur sont donc ceux-lĂ  mĂȘme qui constituent la matiĂšre des MĂ©moires d’Hadrien3. Si Marguerite Yourcenar cite les auteurs qu’a vĂ©ritablement lus son personnage, et qu’elle-mĂȘme a longuement frĂ©quentĂ©s au cours de sa gigantesque entreprise de reconstruction documentĂ©e4, elle n’en met pas moins l’accent sur certaines prĂ©fĂ©rences, ou certains aspects qui font signe vers sa propre Ă©criture. Hadrien, laisse-t-elle entendre, n’a guĂšre trouvĂ© de poĂšte ou d’historien Ă  sa mesure pour chanter ses Ă©motions ou retracer son rĂšgne les textes composĂ©s Ă  l’occasion de la mort d’AntinoĂŒs sont mĂ©diocres5, le style de PhlĂ©gon laisse Ă  dĂ©sirer. Aussi devient-elle ce patient biographe du futur dont, non sans ironie, elle fait dĂ©crire Ă  Hadrien la tĂąche difficile Les SuĂ©tones de l’avenir auront fort peu d’anecdotes Ă  rĂ©colter sur moi », prĂ©sage-t-il en se fĂ©licitant de la discrĂ©tion de ses proches p. 140 ; une fois n’est pas coutume, les talents oraculaires d’Hadrien se trouvent dĂ©mentis. 9Tout concorde dans la bibliothĂšque rĂ©inventĂ©e par Marguerite Yourcenar les Ă©vĂ©nements de la vie d’Hadrien et ceux que retracent ses lectures, les goĂ»ts du personnage et les procĂ©dĂ©s de sa crĂ©atrice. Et c’est prĂ©cisĂ©ment dans des phĂ©nomĂšnes d’étroites correspondances, gages de vĂ©ritĂ©, que rĂ©side le critĂšre Ă  l’aune duquel l’empereur juge de la qualitĂ© d’une Ɠuvre littĂ©raire. De PolĂ©mon notamment, il aime l’authenticitĂ©, perceptible dans l’inventio comme dans l’actio. La rhĂ©torique chez lui n’est pas un masque mais un rĂ©vĂ©lateur Le rhĂ©teur PolĂ©mon, le grand homme de LaodicĂ©e, qui rivalisait avec HĂ©rode d’éloquence, et surtout de richesses, m’enchanta par son style asiatique, ample et miroitant comme les flots d’un Pactole cet habile assembleur de mots vivait comme il parlait, avec faste » p. 176. De mĂȘme, son jeu est on ne peut plus sĂ©rieux Il y avait de l’acteur en PolĂ©mon, mais les jeux de physionomie d’un grand comĂ©dien traduisent parfois une Ă©motion Ă  laquelle participent tout une foule, tout un siĂšcle » p. 192. À l’inverse, dans la colĂšre que JuvĂ©nal fait naĂźtre chez l’empereur, le dĂ©goĂ»t de l’hypocrisie le dispute au sentiment de l’offense JuvĂ©nal osa insulter dans une de ses Satires le mime PĂąris, qui me plaisait. J’étais las de ce poĂšte enflĂ© et grondeur ; j’apprĂ©ciais peu son mĂ©pris pour l’Orient et la GrĂšce, son goĂ»t affectĂ© pour la prĂ©tendue simplicitĂ© de nos pĂšres, et ce mĂ©lange de descriptions dĂ©taillĂ©es du vice et de dĂ©clamations vertueuses qui titille les sens du lecteur tout en rassurant son hypocrisie. p. 249 10Trop conscient sans doute de ses propres faiblesses il ne cache pas que son attachement pour PĂąris contribue Ă  le dĂ©goĂ»ter de JuvĂ©nal, Hadrien ne recourt lui-mĂȘme que trĂšs rarement au registre de la satire, si ce n’est, prĂ©cisĂ©ment, pour railler JuvĂ©nal, ou pour dresser la galerie de portraits lĂ©gĂšrement caricaturale des hommes de lettres dont il s’est entourĂ© p. 139-140 – mais la raillerie se nuance alors de tendresse. Un personnage en particulier cristallise son mĂ©pris de la littĂ©rature inauthentique il s’agit de la bien nommĂ©e Julia Balbilla. Le nom de cette authentique poĂ©tesse proche de Sabine Ă©voque irrĂ©sistiblement un babil ou un balbutiement au mieux insignifiant, au pire irritant. La premiĂšre mention que fait d’elle Hadrien est dĂ©jĂ  teintĂ©e de condescendance [Sabine] ne s’entourait que de femmes de lettres inoffensives. La confidente du moment, une certaine Julia Balbilla, faisait assez bien les vers grecs » p. 206. Mais bientĂŽt, l’inoffensive faiseuse se mĂ©tamorphose en personnage repoussoir, dont la prolixitĂ© est signe d’inauthenticitĂ©. Devant le colosse de Memnon, l’inĂ©puisable Julia Balbilla enfant[e] sur-le-champ une sĂ©rie de poĂšmes » p. 222 qui contrastent avec l’inscription minimaliste laissĂ©e par Hadrien. Celui-ci grave en grec une forme abrĂ©gĂ©e et familiĂšre de son nom » p. 223 et, lĂ  oĂč les vers de Julia Balbilla semblaient n’ĂȘtre que vacuitĂ©, cette inscription Ă  proprement parler lapidaire suffit Ă  faire naĂźtre la conscience de l’instant et le bouleversant souvenir des vingt ans qu’AntinoĂŒs n’atteindra jamais. Au seuil de la mort, Hadrien se remĂ©more sans le nommer cet Ă©pisode dĂ©chirant Audivi voces divinas... La sotte Julia Balbilla croyait entendre Ă  l’aurore la voix mystĂ©rieuse de Memnon j’ai Ă©coutĂ© les bruissements de la nuit » p. 309. L’obscur chant du monde peut ĂȘtre Ă  de certains instants une poĂ©sie plus limpide que le verbe des hommes, parce qu’il dit sans dĂ©tours ni faux-semblants l’exactitude de ce qui est. 11Un accord, tel semble ĂȘtre ce que recherche Hadrien dans le dĂ©dale de ses lectures – accord avec l’émotion, avec le monde, avec soi-mĂȘme, avec d’autres hommes l’auteur, mais aussi ceux qui ont vĂ©cu et que les mots font renaĂźtre. Un accord, c’est Ă©galement ce que compose Marguerite Yourcenar en parcourant la bibliothĂšque de l’empereur perdu, tant chacune des allusions intertextuelles qu’elle mĂ©nage est lourde de rĂ©sonnances. Ainsi la rencontre avec AntinoĂŒs, roman ou poĂšme Ă©lĂ©giaque vĂ©cu par Hadrien, est-elle placĂ©e sous le signe de la littĂ©rature On lut ce soir-lĂ  une piĂšce assez abstruse de Lycophron que j’aime pour ses folles juxtapositions de sons, d’allusions et d’images, son complexe systĂšme de reflets et d’échos » p. 169. Ce n’est certes pas le fait du hasard si cette notation prend place Ă  l’orĂ©e du SƓculum aureum », Ă  l’instant oĂč le rĂ©cit dĂ©ploie au plus haut degrĂ© sa poĂ©sie de sons, d’allusions et d’images » alors qu’elle va faire apparaĂźtre AntinoĂŒs au bord d’une source consacrĂ©e Ă  Pan » ibid., c’est-Ă -dire Ă  Tout, Marguerite Yourcenar fait rĂ©sonner l’une des notes Ă  la fois secrĂštes et claires du complexe systĂšme de reflets et d’échos » que sont les MĂ©moires d’Hadrien. La bibliothĂšque de Marguerite Yourcenar 12Il est un autre moment du SƓculum aureum » oĂč Hadrien et AntinoĂŒs Ă©coutent de concert un texte bruissant d’échos. Alors qu’il relate ses expĂ©riences magiques et ses interrogations sur la nature de l’ñme, l’empereur se souvient Vers la mĂȘme Ă©poque, PhlĂ©gon, qui collectionnait les histoires de revenants, nous raconta un soir celle de La FiancĂ©e de Corinthe dont il se porta garant. Cette aventure oĂč l’amour ramenait une Ăąme sur la terre, et lui rendait temporairement un corps, Ă©mut chacun de nous, mais Ă  des profondeurs diffĂ©rentes. Plusieurs tentĂšrent d’amorcer une expĂ©rience analogue [...]. Aucune de ces tentatives ne rĂ©ussit. Mais d’étranges portes s’étaient ouvertes. p. 199 6 FantĂŽmes et statues sont explicitement mis en relation lors de la rencontre de la Sibylle bretonne ... 13L’épisode est troublant en ce qu’il prĂ©figure les efforts Ă  venir d’Hadrien pour ramener Ă  la vie le fantĂŽme d’AntinoĂŒs par l’entremise de la statuaire6 ; il l’est Ă©galement en ce qu’il Ă©veille chez l’auteur et ses lecteurs des souvenirs nĂ©cessairement Ă©trangers au narrateur. Marguerite Yourcenar fait Ă©tat de sa surprise dans les Carnets de notes, oĂč elle avoue Il faut s’enfoncer dans les recoins d’un sujet pour dĂ©couvrir les choses les plus simples, et de l’intĂ©rĂȘt littĂ©raire le plus gĂ©nĂ©ral. C’est seulement en Ă©tudiant PhlĂ©gon, secrĂ©taire d’Hadrien, que j’ai appris qu’on doit Ă  ce personnage oubliĂ© la premiĂšre et l’une des plus belles entre les grandes histoires de revenants, cette sombre et voluptueuse FiancĂ©e de Corinthe dont se sont inspirĂ©s Goethe et l’Anatole France des Noces corinthiennes p. 338-339. 14La superposition dans l’esprit du lecteur des textes de PhlĂ©gon, d’Anatole France et surtout de Goethe, dont le nom est spontanĂ©ment associĂ© au titre de La FiancĂ©e de Corinthe, ouvre Ă  son tour d’étranges portes », et fait partager au lecteur du XXe siĂšcle l’émoi Ă©prouvĂ© par Hadrien et ses proches de mĂȘme que l’apparition de la morte amoureuse, l’intertextualitĂ© brouille les frontiĂšres temporelles, et offre un moyen de rĂ©trĂ©cir Ă  son grĂ© la distance des siĂšcles » p. 331. 7 Dans Les Yeux ouverts, Marguerite Yourcenar dit plus explicitement encore son admiration pour Prou ... 8 Pierre Corneille, Sertorius, acte III, scĂšne 1, dans Théùtre complet II, Pierre LiĂšvre et Roger Ca ... 15Dans la bibliothĂšque des MĂ©moires d’Hadrien, les volumens du narrateur cohabitent en effet avec les volumes de l’auteur, çà et lĂ  discrĂštement glissĂ©s sur les rayonnages du temps. Au-delĂ  de ses recherches historiques, les lectures de Marguerite Yourcenar nourrissent nĂ©cessairement son Ă©criture, comme en tĂ©moignent les Carnets de notes, qui Ă©voquent abondamment les auteurs dans le sillage desquels elle se situe, et notamment Proust ; la reconstitution d’un passĂ© perdu » qu’elle lui attribue p. 330 n’est sans doute pas tout Ă  fait Ă©trangĂšre Ă  cette recherche d’un temps perdu que sont les MĂ©moires d’Hadrien7. De tels souvenirs de lecture ont leur place dans les paratextes et les commentaires ; on s’attendrait en revanche moins Ă  les trouver entremĂȘlĂ©s au tissu mĂȘme de la lettre d’Hadrien, dont l’auteur cherchait en quelque sorte Ă  s’absenter, affirmant sa volontĂ© de s’interdire les ombres portĂ©es ; ne pas permettre que la buĂ©e d’une haleine s’étale sur le tain du miroir » p. 332. Des rĂ©miniscences littĂ©raires affleurent pourtant parfois en surimpression sur l’image d’Hadrien, sans jamais la ternir ni la troubler toutefois, tant elles sont discrĂštes. Un seul effet de citation clairement identifiable fait employer Ă  l’empereur des mots d’un autre Ăąge Rome n’est plus dans Rome elle doit pĂ©rir ou s’égaler dĂ©sormais Ă  la moitiĂ© du monde », affirme Hadrien en prĂ©ambule Ă  l’exposĂ© de ses principes politiques p. 124. Le roman rĂ©sonne alors des accents classiques de la cĂ©lĂšbre rĂ©plique de Sertorius Rome n’est plus dans Rome, elle est toute oĂč je suis8 ». L’allusion est ludique Marguerite Yourcenar fait rĂ©pĂ©ter Ă  un empereur du IIe siĂšcle les paroles d’un Romain de la RĂ©publique Ă©crites quinze siĂšcles aprĂšs lui. La mise Ă  distance est nette lĂ  oĂč Sertorius affirme porter Rome en lui, Hadrien la veut universelle. Vertiges de l’espace et du temps, le jeu de la citation dit l’éternitĂ© de Rome dans la mĂ©moire humaine. 16C’est Ă©galement cette permanence de l’Antique que suggĂšre le choix fait par Marguerite Yourcenar de traduire une citation de Virgile par ce qui est, peu ou prou, une phrase de Gide, ainsi que le remarque RĂ©my Poignault 9 RĂ©my Poignault, L’AntiquitĂ© dans l’Ɠuvre de Marguerite Yourcenar, op. cit., t. II, p. 433. Quand, aprĂšs avoir Ă©voquĂ© les portraits par lesquels il a essayĂ© d’immortaliser AntinoĂŒs, Hadrien explique sa conception esthĂ©tique du pouvoir – rĂ©aliser un idĂ©al de beautĂ©, et par consĂ©quent d’harmonie et de justice alliĂ©es Ă  la force –, il cite encore, mais sans se rĂ©fĂ©rer Ă  son auteur, un extrait de Virgile, empruntĂ© cette fois aux Bucoliques Trahit sua quemque uoluptas chacun est entraĂźnĂ© par son plaisir », qu’il rend par un Ă  chacun sa pente » qui fait Ă©cho Ă  la phrase des Faux-Monnayeurs 11 est bon de suivre sa pente, pourvu que ce soit en montant » ; dans l’églogue virgilienne, Corydon, dĂ©plorant qu’Alexis ne partageĂąt pas son amour, prononçait ces mots avec quelque amertume, tandis qu’Hadrien exprime en toute sĂ©rĂ©nitĂ© son idĂ©al de beautĂ© glissant des Ɠuvres d’art – et de l’amour – Ă  la politique9. 17Le glissement subtil d’un intertexte Ă  l’autre traduit le succĂšs des vƓux d’immortalitĂ© d’Hadrien au fil du temps et des livres, les mots se mĂȘlent, se mĂ©tamorphosent au grĂ© de la pente » de ceux qui les prononcent, mais, mutatis mutandis, se survivent. S’élabore ainsi un imaginaire mythique des amours antiques, sĂ©dimentĂ© autour de la figure d’AntinoĂŒs, et qui se manifeste lorsque Marguerite Yourcenar se souvient de ceux qui, avant elle, ont fait revivre la silhouette du favori 10 Ibid., p. 480. L’image d’AntinoĂŒs venant en canot Ă  ce qui allait ĂȘtre sa derniĂšre soirĂ©e et recevant de Lucius une guirlande doit peut-ĂȘtre quelque chose au tableau de Dorian Gray imaginĂ© par Basil Hallward dans le roman d’Oscar Wilde, Le Portrait de Dorian Gray, couronnĂ© de grandes fleurs de lotus, Ă  la proue de la barque d’Adrien le regard perdu au loin par-delĂ  les eux verdĂątres du Nil », comme la suite mĂȘme du texte d’Oscar Wilde fait penser Ă  la scĂšne d’AntinoĂŒs se tenant au bord d’une vasque Vous vous ĂȘtes penchĂ© ensuite sur un lac tranquille Ă  l’orĂ©e d’un bois grec et vous avez contemplĂ© dans les eaux calmes et argentĂ©es le reflet merveilleux de votre beautĂ©10. » 18Oscar Wilde avait fait de Dorian Gray un nouvel AntinoĂŒs, idĂ©al de beautĂ© dorienne » ; imperceptiblement, Marguerite Yourcenar fait en retour d’AntinoĂŒs un nouveau Dorian, celui qui jamais ne vieillit. 11 Voir Jean-Marcel Paquette, L’autre genre la forme de l’essai dans MĂ©moires d’Hadrien », Bullet ... 12 Voir Henri Vergniolle de Chantal, MĂ©moires d’Hadrien, L’ƒuvre au noir, Un homme obscur un imag ... 19MĂȘme lorsqu’ils s’affranchissent de toute rĂ©fĂ©rence Ă  l’AntiquitĂ©, les souvenirs des lectures de Marguerite Yourcenar ajoutent une densitĂ© temporelle au rĂ©cit d’Hadrien, et rappellent que la substance, la structure humaine ne changent guĂšre » p. 333. Rien d’étonnant par exemple Ă  trouver en Hadrien, dont la lettre est aussi un essai11 » consacrĂ© Ă  la connaissance de l’homme et de soi, un peu de Montaigne. L’admiration de Marguerite Yourcenar pour ce dernier est bien connue il compte parmi les auteurs qu’elle dit relire rĂ©guliĂšrement YO, p. 234, la bibliothĂšque de Petite Plaisance recelait plusieurs Ă©ditions des Essais, et lorsqu’elle s’attarde sur le goĂ»t du nomadisme qui caractĂ©rise l’empereur, elle paraĂźt se remĂ©morer l’éloge des voyages que fait l’essayiste12. Comme lui, Hadrien articule en effet libertĂ© de mouvement, libertĂ© du corps, et libertĂ© de l’esprit [...] la grande ressource Ă©tait avant tout l’état parfait du corps une marche forcĂ©e de vingt lieu n’était rien, une nuit sans sommeil n’était considĂ©rĂ©e que comme une invitation Ă  penser. Peu d’hommes aiment longtemps le voyage, ce bris perpĂ©tuel de toutes les habitudes, cette secousse sans cesse donnĂ©e Ă  tous les prĂ©jugĂ©s. Mais je travaillais Ă  n’avoir nul prĂ©jugĂ© et peu d’habitudes. l’apprĂ©ciais la profondeur dĂ©licieuse des lits, mais aussi le contact et l’odeur de la terre nue, les inĂ©galitĂ©s de chaque segment de la circonfĂ©rence du monde. l’étais fait Ă  la variĂ©tĂ© des nourritures, gruau britannique ou pastĂšque africaine. Il m’arriva un jour de goĂ»ter au gibier Ă  demi pourri qui fait les dĂ©lices de certaines peuplades germaniques j’en vomis, mais l’expĂ©rience fut tentĂ©e. p. 137 20DĂ©tails triviaux et presque incongrus, les expĂ©riences culinaires en pays Ă©tranger sont en vĂ©ritĂ© l’indice d’un esprit de tolĂ©rance sans doute directement empruntĂ© Ă  Montaigne Outre ces raisons, le voyager me semble un exercice profitable. L’ame y a une continuelle exercitation, Ă  remarquer des choses incogneuĂ«s et nouvelles ; et je ne sçache point meilleure escolle, comme j’ay dict souvent, Ă  former la vie que de luy proposer incessamment la diversitĂ© de tant d’autres vies, fantaisies et usances, et lui faire gouster une si perpetuelle variĂ©tĂ© de formes de nostre nature. Le corps n’y est ny oisif ny travaillĂ©, et cette modĂ©rĂ©e agitation le met en haleine. Je me tien Ă  cheval sans sans demonter, tout choliqueux que je suis, et sans m’y ennuyer, huict et dix heures [...]. 13 Michel de Montaigne, Les Essais, livre III, chap. ix De la vanitĂ© », Pierre Villey Ă©d., Pari ... J’ay la complexion du corps libre, et le goust commun, autant qu’homme du monde. La diversitĂ© des façons d’une nation Ă  autre, ne me touche que par le plaisir de la variĂ©tĂ©. Chaque usage a sa raison. Soyent des assiettes d’estain, de bois, de terre, bouilly ou rosty, beurre ou huyle de nois ou d’olive, chaut ou froit, tout m’est un, et si un que, vieillissant, j’accuse cette genereuse facultĂ©, et auroy besoin que la dĂ©licatesse et le chois arrestat l’indiscretion de mon appetit et par fois soulageat mon estomac. Quand j’ay estĂ© ailleurs qu’en France et que, pour me faire courtoisie, on m’a demandĂ© si je vouloy estre servy Ă  la Françoise, je m’en suis mocquĂ© et me suis toujours jettĂ© aux tables les plus espesses d’étrangers13. 21La libertĂ© commune aux deux voyageurs que sont Hadrien et Montaigne, Marguerite Yourcenar la vagabonde en use elle aussi, et entraĂźne Ă  sa suite le lecteur dans un pĂ©riple en littĂ©rature au cours duquel elle lui propose incessamment la diversitĂ© de tant d’autres vies, fantaisies, et usances ». 14 L’arbre est un exilĂ©, la roche est un proscrit » Victor Hugo, Ce que dit la bouche d’ombre »,... 22Plus Ă©tonnantes peut-ĂȘtre que les traces humanistes de Montaigne sont les rĂ©miniscences romantiques que l’on peut dĂ©celer dans les MĂ©moires d’Hadrien. Marguerite Yourcenar a frĂ©quentĂ© trĂšs tĂŽt la littĂ©rature romantique adolescente, la jeune Mlle de Crayencour en avait dĂ©jĂ  lu toutes les Ɠuvres majeures. Elle semble s’en ĂȘtre quelque peu Ă©loignĂ©e par la suite, et il est parfois difficile de dĂ©terminer si les Ă©chos romantiques qu’éveille le rĂ©cit d’Hadrien relĂšvent d’allusions intertextuelles dĂ©libĂ©rĂ©es ou de souvenirs plus fortuits de lectures de jeunesse. Il semble peu probable nĂ©anmoins que l’auteur n’ait pas songĂ© par exemple Ă  Hugo, en choisissant de dĂ©peindre comme des bouches d’ombre » les oracles de mauvais augure parmi lesquels figure la sorciĂšre de Canope p. 210. Voix panthĂ©iste des mystĂšres de la vie et de la mort, la Bouche d’Ombre hugolienne, qui dit jusqu’à l’ñme des pierres14, a bien sa place Ă  l’heure oĂč AntinoĂŒs marche vers son sacrifice et sa demi-rĂ©surrection minĂ©rale. La prĂ©sence d’échos Ă  des textes postĂ©rieurs Ă  l’existence d’Hadrien instille dans la lettre une dimension prophĂ©tique. Celle-ci se trouve accentuĂ©e lorsque les textes Ă©voquĂ©s possĂšdent eux-mĂȘmes un caractĂšre oraculaire ; de mĂȘme qu’elle conjure les ombres des Contemplations de Hugo, Marguerite Yourcenar ravive les flammes du Paris » de Vigny, lorsqu’Hadrien, aprĂšs la dĂ©dicace du temple de VĂ©nus et de Rome, mĂ©dite devant la ville en flamme La nuit qui suivit ces cĂ©lĂ©brations, du haut d’une terrasse, je regardai brĂ»ler Rome. Ces feux de joie valaient bien les incendies allumĂ©s par NĂ©ron ils Ă©taient presque aussi terribles. Rome le creuset, mais aussi la fournaise, et le mĂ©tal qui bout, le marteau, mais aussi l’enclume, la preuve visible du changement et des recommencements de l’histoire, l’un des lieux au monde oĂč l’homme aura le plus tumultueusement vĂ©cu. La conflagration de Troie, d’oĂč un fugitif s’était Ă©chappĂ©, emportant avec lui son vieux pĂšre, son jeune fils, et ses Lares, aboutissait ce soir-lĂ  Ă  ces grandes flammes de fĂȘte. Je songeais aussi, avec une sorte de terreur sacrĂ©e, aux embrasements de l’avenir. p. 186-187 23Si les incendies du passĂ© – celui de Troie, celui qu’allume NĂ©ron – sont clairement identifiĂ©s, les embrasements de l’avenir », eux, demeurent innommĂ©s. Parmi ceux-ci figure sans doute cette autre vision d’une ville-fournaise, Ă©galement contemplĂ©e de nuit et depuis une hauteur 15 Alfred de Vigny, Paris », PoĂšmes antiques et modernes, dans ƒuvres complĂštes I. PoĂ©sie et théùtr ... Le vertige parfois est prophĂ©tique. – Il faitQu’une Fournaise ardente Ă©blouit ta paupiĂšre ?C’est la Fournaise aussi que tu vois. – Sa lumiĂšreTeint de rouge les bords du ciel noir et profond ;C’est un feu sous un dĂŽme obscur, large et sans dans les nuits d’hiver et d’étĂ©, quand les heuresFont du bruit en sonnant sur le toit des demeuresParce que l’homme y dort, lĂ  veillent des Esprits,Grands ouvriers d’une Ɠuvre et sans nom et sans nuit leur lampe brĂ»le, et le jour elle fume,Le jour elle a fumĂ©, le soir elle s’allume,Et toujours et sans cesse alimente les feuxDe la Fournaise d’or que nous voyons tous deux15. 16 LĂ , tout fume, tout brĂ»le, tout brille, tout bouillonne, tout flambe, s’évapore, s’éteint, se ra ... 24 Preuve visible du changement et des recommencements de l’histoire », la flamme de l’activitĂ© humaine embrase les tableaux des capitales d’un siĂšcle Ă  l’autre, d’un texte Ă  l’autre. Le vertige prophĂ©tique » causĂ© par le procĂ©dĂ© est d’autant plus grand que la vision de Vigny a pu inspirer celle par laquelle Balzac ouvre cette Ă©tonnante Fille aux yeux d’or16 » que les Carnets de notes citent avec fascination parmi les romans historiques p. 330. Mais le regard jetĂ© sur l’avenir ne s’arrĂȘte pas lĂ  la contemplation d’Hadrien, qui entrevoit un Ă©norme Ă©cueil aperçu au loin dans l’ombre » p. 187, se rĂ©sout en pressentiment Ă  la fois sombre et rĂ©signĂ©, comme le poĂšme de Vigny dans lequel un autre Ă©cueil menace Paris 17 Paris », op. cit., p. 111. Et je chancelle encor, n’osant plus sur la terreContempler votre ville et son double je crains bien pour elle et pour vous, car voilĂ Quelque chose de noir, de lourd, de vaste, lĂ ,Au plus haut point du ciel, oĂč ne sauraient atteindreLes feux dont l’horizon ne cesse de se teindre ;Et je crois entrevoir ce rocher tĂ©nĂ©breuxQu’annoncĂšrent jadis les prophĂštes hĂ©breux17. 18 Deux enfants du classicisme Chateaubriand et Yourcenar », Bulletin de la SIEY, no 25, dĂ©cembre ... 19 François-RenĂ© de Chateaubriand, MĂ©moires d’outre-tombe, livre XIV, chap. I, Jean-Claude Berchet Ă© ... 25Le regard prophĂ©tique d’Hadrien sur Rome reflĂšte ainsi le brasier de Paris », poĂšme qui dĂ©jĂ  recelait le souvenir d’autres prophĂštes ce que l’empereur contemple ainsi d’en haut, c’est sans doute Ă©galement la profondeur des pouvoirs de la littĂ©rature mis en abĂźme. C’est Ă©galement cette profondeur que Marguerite Yourcenar rencontre chez un autre penseur romantique du temps, qu’elle n’évoque jamais directement, mais dont l’ombre plane sur les MĂ©moires d’Hadrien Chateaubriand. Écrits dans une Italie bien connue de Chateaubriand voyageur et secrĂ©taire de lĂ©gation, mais aussi composĂ©s au bord de la mort, et aprĂšs cette traversĂ©e du Styx que reprĂ©sente le suicide d’AntinoĂŒs, les souvenirs de l’empereur sont Ă  proprement parler des MĂ©moires d’outre-tombe. Lorsqu’il conçoit les divisions d’AntinoĂ©, Hadrien se souvient Tout y entrait, Hestia et Bacchus, les dieux du foyer et ceux de l’orgie, les divinitĂ©s cĂ©lestes et celles d’outre-tombe » p. 237. De mĂȘme, tout entre dans l’Ɠuvre de Marguerite Yourcenar, jusqu’à la mĂ©moire d’autres MĂ©moires Laura Brignoli18 a signalĂ© la parentĂ© qui unit le dernier souffle d’Hadrien Un instant encore, regardons ensemble les rives familiĂšres, les objets que sans doute nous ne reverrons plus... », p. 316, et la conclusion du cĂ©lĂšbre Ă©pisode de la grive de Montboissier Mettons Ă  profit le peu d’instants qui me restent ; hĂątons-nous de peindre ma jeunesse, tandis que j’y touche encore le navigateur, abandonnant pour jamais un rivage enchantĂ©, Ă©crit son journal Ă  la vue de la terre qui s’éloigne et qui va bientĂŽt disparaĂźtre19. » La rĂ©miniscence littĂ©raire est ici trĂšs estompĂ©e ; elle se perd dans l’émotion poignante qui saisit le lecteur Ă  l’instant des adieux d’Hadrien ; il n’en demeure pas moins que l’effet d’écho fait de celui qui se prĂ©pare Ă  entrer dans la mort les yeux ouverts » le frĂšre d’un navigateur en partance et qui touche encore » Ă  sa jeunesse. Prestige et vertige de l’écriture et du souvenir, le dĂ©dale de la bibliothĂšque ouvre Ă  un voyage qui pourrait ne finir jamais. Hadrien, lector in fabula 26La prĂ©sence discrĂšte des lectures de Marguerite Yourcenar confĂšre Ă  Hadrien une place lĂ©gĂšrement dĂ©centrĂ©e dans la bibliothĂšque, dont il n’est pas l’unique propriĂ©taire. L’auteur s’estompe certes, mais ne s’efface pas tout Ă  fait, ce qui prĂ©serve son Ɠuvre du danger d’ĂȘtre rangĂ©e dans le rayonnage des mĂ©moires apocryphes » et des supercheries littĂ©raires. Jamais elle ne cherche Ă  faire passer Hadrien pour l’auteur d’un texte oĂč il est somme toute moins Ă©crivain que lecteur. 20 Jeanine S. Alec a montrĂ© qu’il s’agit lĂ  d’une constante chez les personnages yourcenariens Da ... 27Hadrien Ă©crit, certes, et ses productions occupent une place de choix dans la bibliothĂšque de Marguerite Yourcenar elles figurent parmi les premiĂšres sources mentionnĂ©es dans la Note finale, oĂč elles sont soigneusement inventoriĂ©es p. 353. Le plus cĂ©lĂšbre de ces textes, le poĂšme Animula, vagula, blandula », Ă©pitaphe de l’empereur, joue d’ailleurs un rĂŽle structurant dans l’Ɠuvre il en constitue l’épigraphe, donne son titre Ă  la premiĂšre section, et reparaĂźt Ă  la toute fin du rĂ©cit, lorsque l’ñme d’Hadrien, devenue un peu moins flottante » pour le lecteur qui a appris Ă  mieux la connaĂźtre, s’apprĂȘte Ă  un nouvel et incertain envol Petite Ăąme, Ăąme tendre et flottante, compagne de mon corps, qui fut ton hĂŽte, tu vas descendre dans ces lieux pĂąles, durs et nus, oĂč tu devras renoncer aux jeux d’autrefois » p. 316. Pour belle et fidĂšle que soit la traduction, ces mots, en prose et en français, ne sont dĂ©jĂ  plus tout Ă  fait ceux du versificateur latin en mĂȘme temps que les derniers mots de Marguerite Yourcenar sont d’Hadrien, les ultima verba d’Hadrien sont de Marguerite Yourcenar. De maniĂšre significative, celle-ci leur ajoute une clausule bien Ă  elle TĂąchons d’entrer dans la mort les yeux ouverts... » ibid., et une inscription qui porte la marque de l’empereur, mais ne lui donne plus voix Au divin Hadrien Auguste / Fils de Trajan / ConquĂ©rant des Parthes [...] » p. 317. Du je de l’épistolier au tu du mourant qui oublie Marc AurĂšle pour s’adresser Ă  son Ăąme ; du tu au nous d’une personnalitĂ© diverse enfin unifiĂ©e au seuil de la mort, mais aussi ouverte Ă  l’universel, et du nous Ă  la marmorĂ©enne troisiĂšme personne de la titulature, Hadrien peu Ă  peu quitte les rivages de sa lettre, et dans ce glissement Marguerite Yourcenar suggĂšre qu’il n’a Ă©tĂ© auteur que passagĂšrement20. Le narrateur lui-mĂȘme ne cesse en effet de se dire Ă©crivain mĂ©diocre ou vellĂ©itaire. Adolescent, sa passion de la poĂ©sie lui inspire des ambitions littĂ©raires auxquelles il doit renoncer avec amertume d’abord, puis avec la sĂ©rĂ©nitĂ© de celui qui a Ă©prouvĂ© que sa vie Ă©tait ailleurs Scaurus me dĂ©sespĂ©ra en m’assurant que je ne serais jamais qu’un poĂšte des plus mĂ©diocres le don et l’application manquaient. J’ai cru longtemps qu’il s’était trompĂ© j’ai quelque part, sous clef, un ou deux volumes de vers d’amour, le plus souvent imitĂ©s de Catulle. Mais il m’importe dĂ©sormais assez peu que mes productions personnelles soient dĂ©testables ou non. p. 44 28Bien plus tard, il est ressaisi du dĂ©sir d’écrire, mais un nouveau renoncement s’impose Ă  lui, dans la mesure oĂč il se doit avant tout Ă  sa charge impĂ©riale J’ébauchai [...] un ouvrage assez ambitieux, mi-partie prose, mi-partie vers, oĂč j’entendais faire entrer Ă  la fois le sĂ©rieux et l’ironie, les faits curieux observĂ©s au cours de ma vie, des mĂ©ditations, quelques songes ; le plus mince des fils eĂ»t reliĂ© tout cela ; c’eĂ»t Ă©tĂ© une sorte de Satyricon plus Ăąpre, J’y aurais exposĂ© une philosophie qui Ă©tait devenue la mienne, l’idĂ©e hĂ©raclitĂ©enne du changement et du retour. Mais j’ai mis de cĂŽtĂ© ce projet trop vaste. p. 236-237 29Éternel changement, Ă©ternel retour, Hadrien, qui ne cesse d’écrire, est un homme qui n’a pas le temps de devenir Ă©crivain peut-ĂȘtre est-ce en cela que le temps retrouvĂ© yourcenarien se distingue le plus nettement du temps retrouvĂ© proustien, et qui pourtant Ă©prouve le besoin de revenir sur ses Ɠuvres. 30Le narrateur est ainsi avant tout lecteur, et lecteur de lui-mĂȘme telle est la place qu’il s’assigne lorsqu’en Ă©crivant Ă  Marc AurĂšle il part Ă  la dĂ©couverte de ce qu’il est J’ignore Ă  quelles conclusions ce rĂ©cit m’entraĂźnera. Je compte sur cet examen des faits pour me dĂ©finir, me juger peut-ĂȘtre, ou tout au moins pour me mieux connaĂźtre avant de mourir » p. 30. Avant mĂȘme cette dĂ©cisive lecture de soi, il a Ă©tĂ© l’impartial lecteur de ses propres Ɠuvres Je revisais mes propres Ɠuvres les vers d’amour, les piĂšces de circonstance, l’ode Ă  la mĂ©moire de Plotine. Un jour, quelqu’un aurait peut-ĂȘtre envie de lire tout cela. Un groupe de vers obscĂšnes me fit hĂ©siter ; je finis somme toute par l’inclure. Nos plus honnĂȘtes gens en Ă©crivent de tels. Ils s’en font un jeu ; j’eusse prĂ©fĂ©rĂ© que les miens fussent autre chose, l’image exacte d’une vĂ©ritĂ© nue. Mais lĂ  comme ailleurs les lieux communs nous encagent je commençais Ă  comprendre que l’audace de l’esprit ne suffit pas Ă  elle seule pour s’en dĂ©barrasser, et que le poĂšte ne triomphe des routines et n’impose aux mots sa pensĂ©e que grĂące Ă  des efforts aussi longs et aussi assidus que mes travaux d’empereur. p. 236 31S’il parvient Ă  un regard objectif et dĂ©tachĂ© sur des Ă©crits pourtant extrĂȘmement personnels, c’est parce qu’il adopte le regard distant de ses Ă©ventuels lecteurs Ă  venir ; de ce point d’optique, le poĂšte » apparaĂźt clairement comme l’autre, celui Ă  qui il ressemble peut-ĂȘtre, celui qu’il aurait aimĂ© ĂȘtre sans doute, mais celui qu’il n’est pas. 21 Mes ennemis, l’affreux Servianus en tĂȘte, [...] prĂ©tendaient que l’ambition et la curiositĂ© avai ... 32Hadrien pressent donc les futurs lecteurs de son Ɠuvre, parmi lesquels Marguerite Yourcenar elle-mĂȘme. Il les prĂ©figure Ă©galement, ou plus exactement prĂ©figure le lecteur de MĂ©moires d’Hadrien, dont il est le double potentiel, bien mieux que Marc AurĂšle, destinataire premier Ă  la fois trop individualisĂ© pour ĂȘtre un support d’identification, et trop absent pour incarner l’activitĂ© de lecture. Il est des pages de MĂ©moires d’Hadrien oĂč le livre se mĂ©tamorphose en un miroir dans lequel le lecteur peut se voir en train de lire celles oĂč le narrateur lui-mĂȘme lit des lettres. La lettre Ă©crite m’a enseignĂ© Ă  Ă©couter la voix humaine, tout comme les grandes attitudes des statues m’ont appris Ă  apprĂ©cier les gestes », confie trĂšs tĂŽt l’empereur p. 30. De mĂȘme que la statuaire classique, parcourue d’ñmes mais dĂ©livrĂ©e du hiĂ©ratisme, sublime dans le marbre le mouvement humain, la lettre Ă©crite » pĂ©rennise, clarifie, Ă©pure la parole prononcĂ©e le parallĂšle suggĂšre qu’Hadrien a su trouver dans l’épistolaire ce que prĂ©cisĂ©ment Marguerite Yourcenar souhaitait offrir Ă  ses lecteurs le portrait d’une voix » p. 330. Il est mĂȘme permis d’imaginer Hadrien trouvant cette inflexion pure de la voix humaine dans des lettres qui ne lui sont pas destinĂ©es, tout comme que le lecteur des MĂ©moires d’Hadrien la rencontre dans la lettre Ă  Marc AurĂšle. On sait en effet l’empereur avide de dĂ©couvrir l’ĂȘtre humain dans tous les documents qui peuvent le lui rĂ©vĂ©ler, confidence de ses maĂźtresses21, rapports de police, et peut-ĂȘtre lettres interceptĂ©es. Il se dĂ©fend des accusations de curiositĂ© malsaine en allĂ©guant son dĂ©sir de connaĂźtre l’autre sans fard On m’a reprochĂ© d’aimer Ă  lire les rapports de la police de Rome ; j’y dĂ©couvre sans cesse des sujets de surprise ; amis ou suspects, inconnus ou familiers, ces gens m’étonnent » p. 31. Un tel rapport au document n’est pas sans lien avec les recherches minutieuses menĂ©es par Marguerite Yourcenar pour amasser les pierres authentiques » p. 342 Ă  l’aide desquelles elle bĂątit son rĂ©cit ; il tĂ©moigne surtout d’un goĂ»t de la lecture en prise directe avec l’homme vrai, qui laisse Ă  penser qu’Hadrien eĂ»t aimĂ© lire les MĂ©moires d’Hadrien. 22 Voir Henriette Levillain, MĂ©moires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar, op. cit., p. 87 et suiv. 23 RĂ©my Poignault, L’AntiquitĂ© dans l’Ɠuvre de Marguerite Yourcenar, op. cit., t. II, p. 433 pour un ... 33La lettre dĂ©voile la voix et la vie des autres ; elle peut aussi, parfois, enseigner la vie. Si Marguerite Yourcenar assigne explicitement aux MĂ©moires d’Hadrien la premiĂšre de ces deux fonctions, elle ne renonce pas Ă  la seconde, suggĂ©rĂ©e par la dimension discrĂštement didactique de l’épĂźtre Ă  Marc AurĂšle, et surtout par le rĂŽle-clef que remplit la missive d’Arrien, vĂ©ritable miroir tendu tout Ă  la fois Ă  Hadrien et au lecteur22. Dans ce texte dont elle propose une adaptation assez libre23 », Marguerite Yourcenar trouve la substantifique moelle de son protagoniste Dans l’absence de tout autre document, la lettre d’Arrien Ă  l’empereur Hadrien au sujet du pĂ©riple de la mer Noire suffirait Ă  recrĂ©er dans ses grandes lignes cette figure impĂ©riale », affirme-t-elle dans les Carnets de notes p. 339. Sans doute reflĂšte-t-elle aussi, dans les effets produits sur Hadrien par cette lecture, les ambitions de son propre roman comme les MĂ©moires d’Hadrien, la lettre d’Arrien articule l’évocation d’une Ɠuvre politique Ă  la passion de l’art, les grandes scansions d’une existence Ă  la fascination du mythe et, par cet entrelacement subtil, aide Ă  penser la vie. En dĂ©pit de ses efforts, Hadrien ne s’est pas toujours montrĂ© bon lecteur de l’homme et du mythe ; sur les terres glorieuses de l’Iliade il s’égare et se montre inapte Ă  interprĂ©ter les signes que lui adresse AntinoĂŒs Je trouvai quelques moments pour me recueillir sur la tombe d’Hector ; AntinoĂŒs alla rĂȘver sur celle de Patrocle. Je ne sus pas reconnaĂźtre dans le jeune faon qui m’accompagnait l’émule du camarade d’Achille je tournai en dĂ©rision ces fidĂ©litĂ©s passionnĂ©es qui fleurissent surtout dans les livres ; le bel ĂȘtre insultĂ© rougit jusqu’au sang. p. 194 24 RĂ©my Poignault, Deux amis d’Hadrien Arrien et Plotine », art. citĂ©, p. 184. RĂ©my Poignault cit ... 34L’épisode est lourd de prĂ©sages tragiques sous un ciel vert de catastrophe », une inondation chang[e] en Ăźlots les tumulus des tombeaux antiques » ibid. et les hommes, littĂ©ralement isolĂ©s, Ă©chouent Ă  communiquer. L’air vivifiant de l’üle d’Achille dĂ©crite par Arrien vient dissiper ces nuages la lettre rĂ©tablit la comprĂ©hension et l’harmonie parce qu’elle est l’Ɠuvre d’un ami, moins passionnĂ© que Patrocle et AntinoĂŒs, mais non moins dĂ©vouĂ©, ainsi que l’a montrĂ© RĂ©my Poignault [Hadrien] trouve [...] en Arrien un ultime soutien l’auteur du PĂ©riple du Pont-Euxin remplit ainsi l’un des devoirs de l’amitiĂ© selon LĂ©lius “eniti et efficere, ut amici iacentem animum excitet” ; mais il fait mieux il lui procure une rĂ©conciliation avec lui-mĂȘme et un accĂšs Ă  l’éternitĂ©24. » La relation amicale pourrait ainsi fournir le modĂšle d’une relation littĂ©raire dans laquelle le lecteur, grĂące Ă  la connaissance de l’autre, accĂšde Ă  la connaissance de soi. Hadrien goĂ»te en effet pleinement la sagesse d’Arrien, qui constitue certainement l’un des socles les plus solides de sa propre Patientia » Arrien comme toujours a bien travaillĂ©. Mais, cette fois, il fait plus il m’offre un don nĂ©cessaire pour mourir en paix ; il me renvoie une image de ma vie telle que j’aurais voulu qu’elle fĂ»t. Arrien sait que ce qui compte est ce qui ne figurera pas dans les biographies officielles, ce qu’on n’inscrit pas sur les tombes ; il sait aussi que le passage du temps ne fait qu’ajouter au malheur un vertige de plus. Vue par lui, l’aventure de mon existence prend un sens, s’organise comme dans un poĂšme. p. 297 35Hadrien lit ainsi entre les lignes sa propre biographie, qu’il recompose mais qui a Ă©tĂ© Ă©crite par un autre en somme il lit les MĂ©moires d’Hadrien. C’est alors que le prĂ©sent fait irruption dans le texte, que le temps de sa lecture coĂŻncide tout Ă  la fois avec le temps de l’écriture de la lettre et celui de la lecture du roman. Par la grĂące de l’écriture d’Arrien mĂȘlĂ©e Ă  celle de Marguerite Yourcenar, Hadrien, Achille et celui qui, Ă  dix-huit siĂšcles de distance lit leur double histoire, pour un instant ne font plus qu’un. Je et les autres 25 Colette Gaudin, Marguerite Yourcenar Ă  la surface du temps, op. cit., p. 95. 36Pour Colette Gaudin, Yourcenar a voulu battre les historiens au jeu de l’objectivitĂ© » Ce qui est original pour un Ă©crivain de fiction, c’est qu’elle le fait en dĂ©crivant sa participation subjective au rĂ©cit25. » PrĂ©sence de l’écrivain dans le roman, mais aussi, Ă©videmment, Carnets de notes et Note finale constituent des Ă©lĂ©ments de l’écriture de soi intĂ©grĂ©s aux MĂ©moires d’Hadrien. Dans quelle mesure est-il pertinent d’évoquer une dimension autobiographique rĂ©elle Ă  l’Ɠuvre derriĂšre l’autobiographie fictive d’Hadrien et en quoi le, les je » du texte, se construisent-ils Ă  l’aune de l’altĂ©ritĂ© ? MĂ©moires de Marguerite ? 37Dans les Carnets de notes, Marguerite Yourcenar interdit explicitement tout raccourci interprĂ©tatif sur le choix de la premiĂšre personne et pointe du doigt la [g]rossiĂšretĂ© de ceux qui vous disent “Hadrien, c’est vous” » p. 341. Ainsi la possibilitĂ© d’une lecture autobiographique du roman semble-t-elle d’emblĂ©e rĂ©cusĂ©e par les propos de l’auteur dont on sait l’importance dans l’exĂ©gĂšse critique de ses propres textes. S’il paraĂźt indispensable de s’interroger sur le choix de l’écriture Ă  la premiĂšre personne, la dĂ©marche autobiographique est certes Ă  envisager dans une perspective trĂšs diffĂ©rente des lectures visant Ă  repĂ©rer des points communs entre l’auteur et son personnage, tout d’abord en raison de la vision mĂȘme de l’auteur. 38En effet, Marguerite Yourcenar tĂ©moigne d’un certain mĂ©pris pour ce qu’on pourrait appeler l’exposition de sa personnalitĂ© ; elle s’en explique longuement dans les entretiens avec Matthieu Galey en Ă©voquant tout d’abord son dĂ©dain pour la posture Ă©gocentrique et vaine qui consiste Ă  parler de soi dans les moindres dĂ©tails Cette obsession française du culte de la personnalitĂ© » la sienne chez la personne qui Ă©crit ou qui parle me stupĂ©fie toujours. Oserais-je dire que je la trouve affreusement petite-bourgeoise ? je, moi, me, mon, ma, mes... Ou tout est dans tout, ou rien ne vaut la peine qu’on en parle. Pour mon compte, dans une rĂ©union dite mondaine », je m’écarte aussi discrĂštement que je peux de la dame qui m’apprend qu’elle aime beaucoup les marrons glacĂ©s, ses » confiseries favorites, ou du monsieur, gĂ©nĂ©ralement sĂ©nile, qui se montre disposĂ© Ă  me raconter ses » aventures d’amour. YO, p. 205 26 Alain TrouvĂ©, Leçon littĂ©raire sur MĂ©moires d’Hadrien, op. cit., p. 113. 39Ce manque d’intĂ©rĂȘt pour les accidents de sa propre personnalitĂ© conduit d’ailleurs Marguerite Yourcenar Ă  l’absence dans ses textes autobiographiques dans Archives du Nord, c’est la filiation qui l’intĂ©resse, non le rĂ©cit de sa propre enfance, et la romanciĂšre avoue son dĂ©sintĂ©rĂȘt pour ce je du passĂ© que les autobiographes tentent pourtant de retrouver Franchement, je ne comprends pas cette insistance sur le “je”, quand ce “je” s’applique Ă  une enfant nĂ©e en juin 1903 et devenue peu Ă  peu l’ĂȘtre humain que je suis ou essaie d’ĂȘtre » YO, p. 212. Il est vrai que [d]ans la plus grande partie du Labyrinthe du monde, ses MĂ©moires [...], la narratrice n’est le plus souvent prĂ©sente qu’en tant que tĂ©moin ou biographe » Ce qu’elle raconte, ce sont ses proches, sa famille, ses ascendants26. » Ainsi, mĂȘme les textes dits autobiographiques de Marguerite Yourcenar sont-ils finalement dĂ©gagĂ©s de l’omniprĂ©sence d’une personnalitĂ©, d’une singularitĂ© identitaire que l’autobiographe chercherait Ă  saisir. 40D’ailleurs la romanciĂšre exprime nettement l’inanitĂ© d’une reconstitution autobiographique dans la mesure oĂč le je est aussi Ă©tranger Ă  lui-mĂȘme que ne l’est autrui Tout nous Ă©chappe, et tous, et nous-mĂȘmes. La vie de mon pĂšre m’est plus inconnue que celle d’Hadrien. Ma propre existence, si j’avais Ă  l’écrire, serait reconstituĂ©e par moi du dehors, pĂ©niblement, comme celle d’un autre ; j’aurais Ă  m’adresser Ă  des lettres, aux souvenirs d’autrui, pour fixer ces flottantes mĂ©moires. Ce ne sont jamais que murs Ă©croulĂ©s, pans d’ombre. S’arranger pour que les lacunes de nos textes, en ce qui concerne la vie d’Hadrien, coĂŻncident avec ce qu’eussent Ă©tĂ© ses propres oublis. p. 331 41Qu’il s’agisse de soi-mĂȘme, d’un parent ou d’un personnage, qu’il s’agisse d’une autobiographie, d’une biographie ou d’un roman, la dĂ©marche est la mĂȘme qui consiste Ă  saisir l’existence par une reconstitution. 42DĂ©sintĂ©rĂȘt profond pour les accidents de sa propre personnalitĂ© et impossibilitĂ© de saisir son moi » si dĂ©marche autobiographique il y a, elle n’est pas Ă  chercher dans les contingences d’un rĂ©cit de vie. Aussi [l]e public qui chercher des confidences personnelles dans le livre d’un Ă©crivain est un public qui ne sait pas lire » YO, p. 205 tenter de repĂ©rer l’ombre portĂ©e de l’auteur dans tel dĂ©tail de vie, dans telle inclination, dans telle opinion d’Hadrien, constitue une aporie aux yeux de Marguerite Yourcenar. Est-ce Ă  dire que la romanciĂšre s’efface entiĂšrement dans son personnage ? N’y a-t-il pas de traces de sa prĂ©sence dans le roman ? Fait-elle vĂ©ritablement silence ? 27 Alain TrouvĂ©, Leçon littĂ©raire sur MĂ©moires d’Hadrien » de Marguerite Yourcenar, op. cit., p. 11 ... 43S’il est un espace autobiographique dans MĂ©moires d’Hadrien, il s’agit clairement des Carnets de notes. Le paratexte dĂ©livre en effet de nombreux Ă©lĂ©ments de la vie de l’auteur circonstances datĂ©es, formation et dĂ©roulement du projet d’écriture, sentiments personnels. Dans les Carnets se donne Ă  lire quelque chose de l’ordre de la formation de la personnalitĂ© Ă©voquĂ©e par Philippe Lejeune dans sa dĂ©finition de l’autobiographie. Alain TrouvĂ© l’affirme clairement malgrĂ© leur disposition en fragments, les Carnets incluent un vĂ©ritable rĂ©cit de vie et rĂ©pondent exactement Ă  la dĂ©finition de l’autobiographie proposĂ©e par Philippe Lejeune. » En effet, outre une organisation chronologique et des regroupements thĂ©matiques qui prouvent que ces notes ne sont pas restituĂ©es telles qu’elles ont Ă©tĂ© Ă©crites », les Carnets se caractĂ©risent par [l]a prĂ©sence continue d’un je narrateur-personnage qui rĂ©fĂšre Ă  l’auteur rĂ©el Marguerite Yourcenar » ainsi que par l’emploi des temps du passĂ© au lieu du prĂ©sent attendu qui narrativisent nettement l’ensemble27 ». Si les Carnets relĂšvent donc pour partie du rĂ©cit autobiographique, qu’en est-il du roman lui-mĂȘme ? 44Si elle rejette catĂ©goriquement une lecture autobiographique, strictement individuelle, dont il faudrait retrouver trace dans le roman, Marguerite Yourcenar confie malgrĂ© tout s’ĂȘtre servi de sa propre expĂ©rience pour Ă©crire MĂ©moires d’Hadrien et avoir par exemple [u]tilis[Ă©] pour mieux comprendre un commencement de maladie de cƓur » p. 333 28 MichĂšle Goslar, Yourcenar biographie, op. cit., p. 160-161. DĂšs la fin de l’étĂ© 1944, Marguerite Yourcenar ressent les premiers symptĂŽmes d’une faiblesse cardiaque. Trois semaines plus tard, Ă  New York, un malaise la surprend dans la rue. Elle se rĂ©fugie chez ses amis Kayaloff et est contrainte au repos. À quarante et un ans, elle sait qu’elle est malade du cƓur et se persuade qu’elle peut mourir Ă  tout moment d’une attaque. Elle se servira de cette expĂ©rience personnelle dans un prochain livre qu’elle n’imagine pas encore Ă©crire28. 29 RĂ©my Poignault, L’AntiquitĂ© dans l’Ɠuvre de Marguerite Yourcenar, op. cit., t. II, p. 757. 45Ses inclinations personnelles transparaissent aussi parfois derriĂšre Hadrien, de son propre aveu Quand je fais parler Hadrien de son amour des pays barbares, c’est par moments mon propre goĂ»t pour eux qui fait Ă©cho au sien » YO, p. 304. Comme le note RĂ©my Poignault, [c]e goĂ»t pour les pays barbares [...] qui appartient aussi Ă  Marguerite Yourcenar, est une crĂ©ation qui lui est propre et qui contraste avec l’extension du limes ou le “panhellĂ©nisme antibarbare” qui caractĂ©rise la politique de l’empereur29 ». La comparaison entre le prince tel que le prĂ©sente la romanciĂšre et tel que le prĂ©sentent les documents historiques tĂ©moigne ainsi des inflĂ©chissements donnĂ©s par la crĂ©ation romanesque. Mais cette prĂ©sence auctoriale ne signale en rien une volontĂ© de paraĂźtre derriĂšre le personnage ou de livrer des clĂ©s de lecture autobiographiques si Marguerite Yourcenar est prĂ©sente derriĂšre Hadrien, c’est que sa dĂ©marche d’écriture s’inscrit dans une traversĂ©e de soi qui vise Ă  dĂ©passer les singularitĂ©s pour renouer avec l’humanitĂ© inscrite en nous-mĂȘmes. 46 Tout ĂȘtre qui a vĂ©cu l’aventure humaine est moi » p. 342 c’est lĂ  que rĂ©side la singularitĂ© de l’écriture yourcenarienne, dans cette intĂ©gration d’une individualitĂ© Ă  la sienne propre pour mieux toucher l’universalitĂ© de l’expĂ©rience humaine. Cette dĂ©marche qui entend saisir l’humanitĂ© en soi n’est d’ailleurs pas propre Ă  la fiction et informe Ă©galement l’écriture de soi Toute l’humanitĂ© et toute la vie passent en nous, et si elles ont pris ce chemin d’une famille et d’un milieu en particulier qui fut celui de notre enfance, ce n’est qu’un hasard parmi tous nos hasards » YO, p. 204. La prĂ©sence de Marguerite Yourcenar dans MĂ©moires d’Hadrien ne se situe donc pas dans des dĂ©tails autobiographiques, mais dans une traversĂ©e de soi pour toucher l’humain. 47C’est prĂ©cisĂ©ment dans cette tentative d’apprĂ©hender ce qui nous fait hommes par-delĂ  les siĂšcles et les cultures que naĂźt la dĂ©marche autobiographique de Marguerite Yourcenar. En regardant en elle-mĂȘme les traces de l’humanitĂ©, elle entend prendre seulement ce qu’il y a de plus durable, de plus essentiel en nous, dans les Ă©motions des sens ou dans les opĂ©rations de l’esprit, comme point de contact avec ces hommes qui comme nous croquĂšrent des olives, burent du vin, s’engluĂšrent les doigts de miel, luttĂšrent contre le vent aigre et la pluie aveuglante et cherchĂšrent en Ă©tĂ© l’ombre d’un platane, et jouirent, et pensĂšrent, et vieillirent, et moururent » p. 332. Point de dĂ©tails anecdotiques dans cette perception de soi, mais une volontĂ© d’ĂȘtre l’instrument traversĂ© par le sentiment de l’humanitĂ©. 48À cet Ă©gard, la romanciĂšre se perçoit comme un intermĂ©diaire destinĂ© Ă  susciter ou Ă  redonner vie Ă  des personnages inventĂ©s ou morts. Marguerite Yourcenar explique ainsi son manque d’intĂ©rĂȘt pour elle-mĂȘme c’est pourquoi je n’ai au fond qu’un intĂ©rĂȘt limitĂ© pour moi-mĂȘme. J’ai l’impression d’ĂȘtre un instrument Ă  travers lequel des courants, des vibrations sont passĂ©s. Et cela vaut pour tous mes livres, et je dirais mĂȘme pour toute ma vie » YO, p. 309. Dans cette perspective oĂč l’auteur est un intermĂ©diaire dont le rĂŽle consiste Ă  insuffler la vie, se dessine un processus de crĂ©ation proche d’une vĂ©ritable gestation. 49En effet, Marguerite Yourcenar emploie systĂ©matiquement le lexique de la vie, du mouvement, voire de la chair, pour Ă©voquer le processus de crĂ©ation Ă  l’Ɠuvre ainsi Ă©crit-elle avoir tĂąch[Ă©] de rendre leur mobilitĂ©, leur souplesse vivante, Ă  ces visages de pierre » dans MĂ©moires d’Hadrien p. 332, et avoir cherchĂ© Ă  rendre l’empereur vivant On a le curriculum vitae d’Hadrien, c’est-Ă -dire qu’on sait, annĂ©e aprĂšs annĂ©e, les diffĂ©rents emplois, les diffĂ©rents dignitĂ©s dont il a Ă©tĂ© revĂȘtu. Mais on ne sait pas grand-chose de plus. On sait le nom de quelques-uns de ses amis ; on connaĂźt un peu son groupe Ă  Rome, sa vie personnelle. Alors j’ai tĂąchĂ© de reconstituer tout cela, Ă  partir des documents, mais en m’efforçant de les revivifier ; tant qu’on ne fait pas entrer toute sa propre intensitĂ© dans un document, il est mort, quel qu’il soit. YO, p. 146 50Dans cette perspective, l’auteur doit savoir se taire et n’ĂȘtre qu’un rĂ©ceptacle Ă  la voix du personnage comme une matrice nourrirait un ĂȘtre Ă  venir sans pour autant lui imposer sa propre forme, [o]n doit tĂącher d’entendre, de faire silence en soi pour entendre ce qu’Hadrien pourrait dire, ou ce que ZĂ©non pourrait dire dans telle ou telle circonstance » Ne jamais y mettre du sien, ou alors inconsciemment, en nourrissant les ĂȘtres de sa substance, comme on les nourrirait de sa chair, ce qui n’est pas du tout la mĂȘme chose que de les nourrir de sa propre petite personnalitĂ©, de ces tics qui nous font nous » YO, p. 69. Ici se donne clairement Ă  lire la mĂ©taphore de la gestation. RĂ©cusant absolument l’identitĂ© entre elle-mĂȘme et ses personnages, Marguerite Yourcenar se place comme l’ĂȘtre pourvoyeur d’une substance vivante nĂ©cessaire Ă  la crĂ©ation 30 Son pĂšre, figure centrale d'Archives du Nord et de Quoi ? l’ÉternitĂ©, les deux derniers volets du ... Je ne suis pas plus Michel30 que je suis ZĂ©non ou Hadrien. J’ai essayĂ© de le reconstituer – comme tout romancier – Ă  partir de ma substance, mais c’est une substance indiffĂ©renciĂ©e. On nourrit de sa substance le personnage qu’on crĂ©e c’est un peu un phĂ©nomĂšne de gestation. Il faut bien, pour lui donner ou lui rendre la vie, le fortifier d’un apport humain, mais il ne s’ensuit pas qu’il soit nous ou que nous soyons lui. Les entitĂ©s restent diffĂ©rentes. YO, p. 211 51Ainsi la prĂ©sence de Marguerite Yourcenar ne vaut-elle, Ă  ses yeux, que dans la stricte mesure oĂč elle existe en tant que membre de l’humanitĂ© tout particularisme, toute communautĂ© de personnalitĂ© semble alors dĂ©risoire tant la vision de soi atteint l’universalitĂ©. 52De ce processus crĂ©atif naĂźt un paradoxe finalement, Hadrien se trouve peut-ĂȘtre davantage en Marguerite qu’elle-mĂȘme ne se trouve en lui. C’est en tout cas ce qu’elle semble signifier lorsqu’elle met l’accent sur l’importance du personnage dans sa vie, et sur le fait qu’il a existĂ© et existe encore Ă  ses cĂŽtĂ©s. Tout autant qu’un inflĂ©chissement de l’auteur sur le personnage, c’est le personnage qui semble in fine laisser sa trace sur l’auteur Il semble que tout ce que j’ai tentĂ© d’exprimer au sujet d’Hadrien rejaillisse en quelque sorte sur moi. Sa luciditĂ© fortifie le peu de luciditĂ© que je possĂšde ; je me souviens, en cas de crise, qu’il en a traversĂ© et les a surmontĂ©es ; sa disciplina augusta, sa virtus augusta me soutiennent, et plus encore me convient sa derniĂšre devise de malade Patientia. YO, p. 227 31 Henriette Levillain, MĂ©moires d’Hadrien » de Marguerite Yourcenar, op. cit., p. 179. 53Henriette Levillain Ă©crit d’ailleurs que, [sur] un autre plan plus personnel, mais Ă  plus long terme, Hadrien appartient Ă  la gĂ©nĂ©alogie mi-reconstituĂ©e, mi-rĂȘvĂ©e des ancĂȘtres de Marguerite de Crayencour » Au fur et Ă  mesure que l’auteur des Archives du Nord dĂ©cline les noms de ses ancĂȘtres flamands, elle note, ou provoque, toutes sortes de coĂŻncidences entre la vie, la culture et la personnalitĂ© de l’empereur romain et celles de ses ascendants31. » 54La vie rĂ©elle se mĂȘle alors aux constructions de l’imaginaire pour former un espace intĂ©rieur dont la complexitĂ© dĂ©passe la frontiĂšre entre fiction et rĂ©alitĂ© il en va ainsi des [l]ieux oĂč l’on a choisi de vivre, rĂ©sidences invisibles qu’on s’est construites Ă  l’écart du temps ». J’ai habitĂ© Tibur, Ă©crit-elle, j’y mourrai peut-ĂȘtre, comme Hadrien dans l’Île d’Achille. » p. 347. Marguerite Yourcenar signale alors l’aporie d’une distinction entre sa propre vie et celle de ses personnages, allant jusqu’à rĂ©cuser la distinction entre fiction et non-fiction, tant est profonde et rĂ©ciproque son immersion crĂ©ative Vous avouerais-je que je n’ai jamais eu le sentiment d’écrire de la fiction » ? J’ai toujours attendu que ce que j’écrivais fĂ»t assez incorporĂ© Ă  moi pour n’ĂȘtre pas diffĂ©rent de ce que seraient mes propres souvenirs [...] ; la maladie d’Hadrien me paraĂźt aussi authentique que mes maladies. YO, p. 307 L’art dĂ©licat du portrait 55Dans les Carnets de notes, Marguerite Yourcenar Ă©crit qu’elle aurait souhaitĂ© dĂ©velopper le portrait » d’un certain nombre d’ĂȘtres », tels Plotine, Sabine, Arrien, SuĂ©tone, mais que le choix de l’écriture personnelle imposait un regard nĂ©cessairement partiel et partial, lacunaire et erronĂ©. En effet, Hadrien ne pouvait les voir que de biais. AntinoĂŒs lui-mĂȘme ne peut ĂȘtre aperçu que par rĂ©fraction, Ă  travers les souvenirs de l’empereur, c’est-Ă -dire avec une minutie passionnĂ©e, et quelques erreurs » p. 335. Pour autant, dans le roman se dessinent les visages d’ĂȘtres dont le lecteur ressent l’importance AntinoĂŒs, Ă©videmment, mais aussi Plotine, prĂ©sences entourant l’existence d’Hadrien dans la pierre et dans la vie. Les pierres... 56Amoureux de l’art et de la pensĂ©e hellĂ©nique, Hadrien voit dans la sculpture une image de la vie mais aussi de l’amour si la lettre Ă©crite [lui] a enseignĂ© Ă  Ă©couter la voix humaine », ce sont les grandes attitudes immobiles des statues [qui lui] ont appris Ă  apprĂ©cier les gestes » p. 30. La statue semble indissociable de l’amour, tout se passant comme si la beautĂ© et la grĂące sensuelle Ă©taient transfigurĂ©es et saisies dans leur acmĂ© par l’art sculptural. Ces liaisons, agrĂ©ables quand ces femmes Ă©taient habiles, devenaient Ă©mouvantes quand elles Ă©taient belles. J’étudiais les arts ; je me familiarisais avec des statues ; j’apprenais Ă  mieux connaĂźtre la VĂ©nus de Cnide ou la LĂ©da tremblant sous le poids du cygne » p. 74 Hadrien relie explicitement son expĂ©rience amoureuse au sentiment esthĂ©tique, les femmes aimĂ©es rejoignant VĂ©nus et LĂ©da dans une communautĂ© vivante. 57D’emblĂ©e s’exprime ainsi le paradoxe tenu dans le roman entre l’immobilitĂ© et le mouvement, entre la rigiditĂ© et la vie, entre la mort et l’amour, la statue fixant une forme d’essence vitale dans un processus presque dĂ©miurgique. Les rĂ©flexions d’Hadrien sur la construction, longuement dĂ©veloppĂ©es dans Tellus stabilita », soulignent bien la part vivante contenue dans la pierre Notre art est parfait », Ă©crit Hadrien, c’est-Ă -dire accompli, mais sa perfection est susceptible de modulations aussi variĂ©es que celles d’une voix pure » p. 145. Si la pierre peut contenir le souffle et la vie, dans quelle mesure Hadrien se rĂȘve-t-il en Pygmalion ? 58La question du portrait porte en effet en elle-mĂȘme celle de la crĂ©ation et du rapport entre le crĂ©ateur et son Ɠuvre. À ce titre, portraits, statues, sculptures et monuments abondent dans le roman et signalent la volontĂ© impĂ©riale de figer l’amour disparu, qu’il s’agisse d’AntinoĂŒs ou de Plotine. Les statues et monuments Ă©rigĂ©s par Hadrien naissent en effet du dĂ©sir de renouer avec les disparus ainsi des chapelles d’AntinoĂŒs, et ses temples, chambres magiques, monuments d’un mystĂ©rieux passage entre la vie et la mort, oratoires d’une douleur et d’un bonheur Ă©touffants, [...] lieu de la priĂšre et de la rĂ©apparition » oĂč Hadrien se livre Ă  [s]on deuil » p. 142. De la mĂȘme maniĂšre, Ă  NĂźmes, Hadrien Ă©tabli[t] le plan d’une basilique dĂ©diĂ©e Ă  Plotine et destinĂ©e Ă  devenir un jour son temple » p. 154. 59L’omniprĂ©sence des portraits d’AntinoĂŒs dans le roman n’est pas une invention de l’auteur mais tĂ©moigne bel et bien d’une rĂ©alitĂ© historique ils abondent, et vont de l’incomparable au mĂ©diocre. Tous, en dĂ©pit des variations dues Ă  l’art du sculpteur ou Ă  l’ñge du modĂšle, Ă  la diffĂ©rence entre les portraits faits d’aprĂšs le vivant et les portraits exĂ©cutĂ©s en l’honneur du mort, bouleversent par l’incroyable rĂ©alisme de cette figure toujours immĂ©diatement reconnaissable et pourtant si diversement interprĂ©tĂ©e, par cet exemple, unique dans l’AntiquitĂ©, de survivance et de multiplication dans la pierre d’un visage qui ne fut ni celui d’un homme d’État ni celui d’un philosophe, mais simplement qui fut aimĂ©. p. 336 60Hadrien a multipliĂ© les images d’AntinoĂŒs et s’il n’existe pas de monnaie romaine Ă  son effigie, c’est en raison de l’opposition du SĂ©nat et non d’une volontĂ© impĂ©riale ; l’abondance des portraits d’AntinoĂŒs dans le roman s’inscrit donc dans la rĂ©fĂ©rentialitĂ© historique. 61Pour autant, Markus Meßling voit dans l’importance donnĂ©e Ă  la sculpture dans le roman une dimension symbolique trĂšs forte dĂ©passant largement le cadre de la reconstitution historique La statue grecque n’est pas seulement un moyen pour l’écrivain de faire revivre la pensĂ©e hellĂ©nique d’un prince romain. Étant la concrĂ©tion pierreuse du corps humain et subissant les forces modificatrices du temps, la sculpture dĂ©passe son statut uniquement historique dans l’ouvrage de Marguerite Yourcenar et devient ainsi une image modĂšle Ă  partir de laquelle l’écrivain dĂ©peint sa vision poĂ©tico-philosophique du temps et de l’existence humaine. 32 Markus Meßling, La fonction de la sculpture dans MĂ©moires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar par ... Comme la sculpture est mutilĂ©e par les Ă©lĂ©ments naturels, Ă  mesure que le temps passe, l’homme en tant qu’individu, lui-mĂȘme sculpture, se voit soumis Ă  un temps destructeur qui dĂ©vore » son Ɠuvre. Mais de mĂȘme que l’intention du sculpteur rĂ©siste au temps car elle ressort encore incontestablement de la ruine d’une statue classique, les structures, voire la substance mĂȘme de l’existence humaine ressortent de cette chaĂźne » de pertes perpĂ©tuelles. Le passĂ© paraĂźt ainsi comme un grand Ă©cran » qui reflĂšte l’immuable nature de l’homme. C’est dans ce sens que l’historicitĂ© tourne dans l’universalitĂ© dans l’Ɠuvre de Marguerite Yourcenar32. 62Ainsi la pierre porte-t-elle la trace de la temporalitĂ© et engage-t-elle dans le roman une mĂ©ditation sur la vanitĂ© de l’existence et du pouvoir soumis, comme toute construction humaine, Ă  la ruine. L’érection de monuments et la crĂ©ation sculpturale sont alors Ă  envisager dans le cadre d’une rĂ©flexion sur la destruction et la mort la crĂ©ation porterait en elle-mĂȘme la trace de sa destruction future, comme une naissance porte sa propre mort. Dans cette entreprise qui consiste Ă  conserver une forme de vie se lit ainsi le dĂ©sir dĂ©miurgique de rĂ©sister au temps. 63Hadrien explicite d’ailleurs le lien de la construction Ă  la temporalitĂ© et Ă  la vie [c]onstruire, Ă©crit-il, c’est collaborer avec la terre c’est mettre une marque humaine sur un paysage qui en sera modifiĂ© Ă  jamais » ; reconstruire, c’est collaborer avec le temps sous son aspect de passĂ©, en saisir ou en modifier l’esprit, lui servir de relais vers un plus long avenir ; c’est retrouver sous les pierres les secrets des sources. » Ici la voix de Marguerite Yourcenar, rĂȘvant dans les Carnets du contact avec les siĂšcles passĂ©s via la pierre ou l’objet, semble se faire entendre derriĂšre celle d’Hadrien, lorsqu’il Ă©crit Notre vie est brĂšve nous parlons sans cesse des siĂšcles qui prĂ©cĂšdent ou qui suivent le nĂŽtre comme s’ils nous Ă©taient totalement Ă©trangers ; j’y touchais pourtant dans mes jeux avec la pierre. Ces murs que j’étaie sont encore chauds du contact de corps disparus ; des mains qui n’existent pas encore caresseront ces fĂ»ts de colonnes. Plus j’ai mĂ©ditĂ© sur ma mort, et surtout sur celle d’un autre, plus j’ai essayĂ© d’ajouter Ă  nos vies ces rallonges presque indestructibles. p. 141 64La construction dans la brique Ă©ternelle » de Rome et le marbre natal » de GrĂšce ou d’Asie relĂšvent ainsi d’une recherche de l’humanitĂ© et la sculpture devient monde Je suis comme nos sculpteurs l’humain me satisfait ; j’y trouve tout, jusqu’à l’éternel. La forĂȘt tant aimĂ©e se ramasse pour moi tout entiĂšre dans l’image du centaure ; la tempĂȘte ne respire jamais mieux que dans l’écharpe ballonnĂ©e d’une dĂ©esse marine. Les objets naturels, les emblĂšmes sacrĂ©s, ne valent qu’alourdis d’associations humaines la pomme de pin phallique et funĂšbre, la vasque aux colombes qui suggĂšre la sieste au bord des fontaines, le griffon qui emporte le bien-aimĂ© au ciel. p. 146 65En accord avec sa vision de l’art, Hadrien confesse que [l’]art du portrait [l’]intĂ©ressait peu » dans la mesure oĂč les portraits romains n’ont qu’une valeur de chronique copies marquĂ©es de rides exactes ou de verrues uniques, dĂ©calques de modĂšles qu’on coudoie distraitement dans la vie et qu’on oublie sitĂŽt morts » p. 146 ce qu’Hadrien rejette, c’est l’individualitĂ©, la singularitĂ© peinte dans le portrait puisqu’il n’y voit lĂ  que dĂ©tail, contingence, anecdote. Les Grecs au contraire ont aimĂ© la perfection humaine au point de se soucier assez peu du visage variĂ© des hommes » et dans cette perspective, le portrait vĂ©ritable accĂšde Ă  l’universalitĂ©. C’est pourquoi – et la voix de Marguerite Yourcenar se fait sans doute entendre ici encore – Hadrien affirme ne jet[er] qu’un coup d’Ɠil Ă  [sa] propre image, cette figure basanĂ©e, dĂ©naturĂ©e par la blancheur du marbre, ces yeux grands ouverts, cette bouche mince et pourtant charnue, contrĂŽlĂ©e jusqu’à trembler » p. 146. 66AntinoĂŒs va pourtant bouleverser cette conception de l’art comme accĂšs Ă  l’humanitĂ©, le portrait devenant symbole de l’obsession d’Hadrien Ă  faire revivre le disparu le visage d’un autre m’a prĂ©occupĂ© davantage. SitĂŽt qu’il compta dans ma vie, l’art cessa d’ĂȘtre un luxe, devint une ressource, une forme de secours. J’ai imposĂ© au monde cette image il existe aujourd’hui plus de portraits de cet enfant que de n’importe quel homme illustre, de n’importe quelle reine. J’eus d’abord Ă  cƓur de faire enregistrer par la statuaire la beautĂ© successive d’une forme qui change ; l’art devint ensuite une sorte d’opĂ©ration magique capable d’évoquer un visage perdu. Les effigies colossales semblaient un moyen d’exprimer ces vraies proportions que l’amour donne aux ĂȘtres ; ces images, je les voulais Ă©normes comme une figure vue de tout prĂšs, hautes et solennelles comme les visions et les apparitions du cauchemar, pesantes comme l’est restĂ© ce souvenir ibid. 67La mort d’AntinoĂŒs signe alors une conception nouvelle de l’art chargĂ© de porter le deuil et de rendre la vie, et Hadrien distingue lui-mĂȘme entre les statues et portraits du jeune vivant » destinĂ©s Ă  saisir le mouvement de la vie changeante, le passage du corps adolescent Ă  l’ñge adulte dans toutes ses variations, et les portraits d’aprĂšs la mort, et oĂč la mort a passĂ©, ces grands visages aux lĂšvres savantes, chargĂ©s de secrets qui ne sont plus les [s]iens, parce que ce ne sont plus ceux de la vie » p. 147. La statue touche alors au sacrĂ© et teinte la volontĂ© crĂ©atrice d’une dimension presque magique. 33 Dans les Carnets de notes, Marguerite Yourcenar souligne d’ailleurs l’élĂ©ment presque faustien d ... 68En effet, si Hadrien s’entoure de statues Ă  la mort du bien-aimĂ©, son rapport Ă  la sculpture change et atteint prĂ©cisĂ©ment une forme de dĂ©sir presque faustien33 34 Philippe Berthier, Regarder les images jusqu’à les faire bouger », dans Les Diagonales du temps. ... C’est bien d’opĂ©ration cabalistique qu’il convient de parler dans cette initiative pathĂ©tique – parce qu’on la sait vaine – d’extravaser sur un mannequin inerte un monde d’affects qui le ressusciterait. Dans sa folie sublime, cette dĂ©marche est celle-lĂ  mĂȘme de l’écrivain. Lorsqu’elle entreprend en effet de resituer AntinoĂŒs Ă  l’intĂ©rieur de la restitution d’Hadrien, Yourcenar se livre Ă  des manipulations sorciĂšres qui sont exactement mimĂ©tiques de celles de l’empereur34... 69Dans cette perspective, qu’il s’agisse d’Hadrien ou de Marguerite Yourcenar, l’art du portrait s’inscrit dans une dĂ©marche presque dĂ©miurgique Ă  l’image de Pygmalion, l’empereur et la romanciĂšre cherchent Ă  donner ou redonner la vie Ă  l’ĂȘtre rigidifiĂ© par la mort, le symbolisme de la pierre Ă©tant Ă  cet Ă©gard tout Ă  fait explicite. À ce titre, la description de l’embaumement d’AntinoĂŒs rĂ©vĂšle combien la volontĂ© de figer la vie aboutit Ă  un atroce chef d’Ɠuvre » p. 217, indice de la dimension paradoxale d’un art devenu mortifĂšre. Mais lĂ  oĂč la pierre fige ces ĂȘtres dans des espaces mortuaires, Marguerite Yourcenar insuffle une voix Ă  Hadrien, lui donnant Ă  jamais la mesure de la vie. ...et les voix 70Les MĂ©moires d’Hadrien sont avant tout le [p]ortrait d’une voix » Si j’ai choisi d’écrire ces MĂ©moires d’Hadrien Ă  la premiĂšre personne, c’est pour me passer le plus possible de tout intermĂ©diaire, fĂ»t-ce de moi-mĂȘme », Ă©crit Marguerite Yourcenar. Hadrien pouvait parler de sa vie plus fermement et plus subtilement que moi. » p. 330. Le roman ne propose pas le portrait physique de l’empereur Ă  l’exception de la maladie ouvrant la lettre Ă  Marc AurĂšle et des mĂ©ditations sur l’importance des sens dans l’expĂ©rience du monde, le corps d’Hadrien ne fait pas l’objet d’une peinture dans le roman. Par ailleurs, si la voix d’Hadrien dresse le portrait d’ĂȘtres qui l’entourent, ces derniers n’ont pas la parole et leurs voix ne se font pas vĂ©ritablement entendre. Marguerite Yourcenar explique cette absence dialogique par l’impossibilitĂ© historiographique de transcrire le ton de la conversation Hadrien, pour jeter ce long coup d’Ɠil sur sa vie, devait se servir de cet instrument de luciditĂ© qu’était pour le monde grĂ©co-romain, dont il est le reprĂ©sentant parfait, la parole organisĂ©e, presque impersonnelle. Je me suis rendu compte que le monologue Ă©tait la seule forme possible, et je n’ai pas introduit dans le texte de conversations, parce que nous ignorons comment ces gens-lĂ  se parlaient. J’ai publiĂ©, beaucoup plus tard, un long essai dans la Nouvelle Revue française, qui paraĂźtra un de ces jours en volume, dans lequel j’ai exprimĂ© l’immense difficultĂ© de faire parler entre eux les gens de l’AntiquitĂ©. Nous avons des comĂ©dies latines, certes, imitĂ©es elles-mĂȘmes de ce qu’on appelle la nouvelle comĂ©die » grecque, et datant d’au moins deux siĂšcles et demi avant Hadrien elles oscillent entre le langage de la rue, les quolibets et les injures, comme chez Plaute, et un langage artificiellement raffinĂ© de gens bien Ă©levĂ©s, tels qu’ils s’expriment sur la scĂšne, comme chez TĂ©rence, et cela dans des situations romanesques toujours plus ou moins invariables. Rien dans tout cela qui nous donne le ton exact de ce qu’ont pu ĂȘtre les propos d’Hadrien avec Trajan, avec AntinoĂŒs ou avec Plotine. YO, p. 141 71Absence de voix autres, donc, mais prĂ©sence de portraits peints par la voix d’Hadrien ainsi lit-on de Plotine un portrait ample et prĂ©cis au travers duquel la personnalitĂ© de l’impĂ©ratrice se dessine davantage que ses traits physiques. [F]igure en vĂȘtements blancs, aussi simples que peuvent l’ĂȘtre ceux d’une femme », portant les lourdes tresses qu’exigeait la mode » p. 95-96, Plotine est surtout le visage de la dignitĂ©, du respect et de l’amitiĂ©. L’une des images les plus emblĂ©matiques du personnage se situe lors de la scĂšne du bĂ»cher de Trajan Calme, distante, un peu creusĂ©e par la fiĂšvre, elle demeurait comme toujours clairement impĂ©nĂ©trable » p. 105 et c’est son beau silence » p. 121 et son effacement qui fondent paradoxalement son omniprĂ©sence dans la vie d’Hadrien comme dans le roman. ApprĂ©ciĂ©e pour ses silences, [...] ses paroles mesurĂ©es qui n’étaient jamais que des rĂ©ponses, et les plus nettes possible », ils partagent tous deux la passion d’orner, puis de dĂ©pouiller [leur] Ăąme, d’éprouver [leur] esprit Ă  toutes les pierres de touche » p. 95. Hadrien Ă©crit Elle inclinait Ă  la philosophie Ă©picurienne, ce lit Ă©troit, mais propre, sur lequel j’ai parfois Ă©tendu ma pensĂ©e. Le mystĂšre des dieux, qui me hantait, ne l’inquiĂ©tait pas ; elle n’avait pas non plus mon goĂ»t passionnĂ© des corps. Elle Ă©tait chaste par dĂ©goĂ»t du facile, gĂ©nĂ©reuse par dĂ©cision plutĂŽt que par nature, sagement mĂ©fiante, mais prĂȘte Ă  tout accepter d’un ami, mĂȘme ses inĂ©vitables erreurs p. 96. 72Celle qui a toujours Ă©tĂ© pour Hadrien un esprit, une pensĂ©e Ă  laquelle s’était mariĂ©e la [s]ienne » p. 182 trouve son pendant charnel avec AntinoĂŒs, dont le portrait physique est en revanche extrĂȘmement dĂ©veloppĂ©. 73Ce sont tout d’abord les portraits vĂ©ritables du jeune homme qui sont Ă©voquĂ©s, retraçant l’adoration d’Hadrien Il y a les statues et les peintures du jeune vivant, celles qui reflĂštent ce paysage immense et changeant qui va de la quinziĂšme Ă  la vingtiĂšme annĂ©e le profil sĂ©rieux de l’enfant sage ; cette statue oĂč un sculpteur de Corinthe a osĂ© garder le laisser-aller du jeune garçon qui bombe le ventre en effaçant les Ă©paules, la main sur la hanche, comme s’il surveillait au coin d’une rue une partie de dĂ©s. Il y a ce marbre oĂč Papias d’Aphrodisie a tracĂ© un corps plus que nu, dĂ©sarmĂ©, d’une fraĂźcheur fragile de narcisse. Et AristĂ©as a sculptĂ© sous mes ordres, dans une pierre un peu rugueuse, cette petite tĂȘte impĂ©rieuse et fiĂšre. p. 147 74Le portrait d’AntinoĂŒs se poursuit au travers des souvenirs d’Hadrien et il est rĂ©vĂ©lateur qu’à l’instar de Plotine, AntinoĂŒs, pourtant omniprĂ©sent, reste silencieux tant dans le roman que dans la diĂ©gĂšse [s]a prĂ©sence », Ă©crit Hadrien, Ă©tait extraordinairement silencieuse il m’a suivi comme un animal ou comme un gĂ©nie familier » p. 170. Hadrien dĂ©taille prĂ©cisĂ©ment cette beautĂ© si visible » p. 171 dans tout ce qu’elle a de changeant les figures que nous cherchons dĂ©sespĂ©rĂ©ment nous Ă©chappent ce n’est jamais qu’un moment... Je retrouve une tĂȘte inclinĂ©e sous une chevelure nocturne, des yeux que l’allongement des paupiĂšres faisait paraĂźtre obliques, un jeune visage large et comme couchĂ©. Ce tendre corps s’est modifiĂ© sans cesse, Ă  la façon d’une plante, et quelques-unes de ces altĂ©rations sont imputables au temps. L’enfant a changĂ© ; il a grandi. [...] La moue boudeuse des lĂšvres s’est chargĂ©e d’une amertume ardente, d’une satiĂ©tĂ© triste. En vĂ©ritĂ©, ce visage changeait comme si nuit et jour je l’avais sculptĂ©. p. 171 75Dans cette image d’Hadrien sculpteur se lit la tentation dĂ©miurgique soulignĂ©e plus haut en mĂȘme temps que s’exprime implicitement la part de culpabilitĂ© qui, plus tard, le rongera, comme s’il Ă©tait responsable du destin de sa crĂ©ature. 76Ainsi le monologue d’Hadrien est-il bien le portrait d’une voix » qui dresse Ă  son tour le portrait d’ĂȘtres ayant empli son existence sans pour autant que ces derniers puissent accĂ©der Ă  la parole dans le roman Plotine comme AntinoĂŒs demeurent des figures silencieuses. Pourtant, il pourrait sembler plus Ă©vident Ă  une femme Ă©crivain de donner la parole Ă  une voix fĂ©minine comme celle de Plotine. À ce titre, on a souvent interrogĂ© Marguerite Yourcenar sur la moindre importance des femmes dans ses textes et sur l’idĂ©e, qu’elle rejette scandalisĂ©e, qu’elle se serait cachĂ©e derriĂšre des voix d’hommes Dans MĂ©moires d’Hadrien, il s’agissait de faire passer une derniĂšre vision du monde antique vue par un de ses derniers grands reprĂ©sentants, et que cet ĂȘtre eĂ»t l’expĂ©rience du pouvoir suprĂȘme, celle de la guerre, celle d’immenses voyages, celle du grand commis occupĂ© de rĂ©formes Ă©conomiques et civiles aucune figure historique de femme n’était dans ces conditions-lĂ , mais Hadrien, dans une pĂ©nombre discrĂšte, a sa parĂšdre fĂ©minine. Je ne parle pas de quelques jeunes maĂźtresses, qui ont Ă©tĂ© pour lui une distraction, je parle de Plotine, la conseillĂšre et l’amie, avec qui le liait une amitiĂ© amoureuse », dit textuellement l’un des chroniqueurs antiques. YO, p. 271 77Dans les Carnets de notes, Marguerite Yourcenar explique dĂ©jĂ  cette [i]mpossibilitĂ© [...] de prendre pour figure centrale un personnage fĂ©minin, de donner, par exemple, pour axe Ă  [s]on rĂ©cit, au lieu d’Hadrien, Plotine ». La raison en est culturelle La vie des femmes est trop limitĂ©e, ou trop secrĂšte. Qu’une femme se raconte, et le premier reproche qu’on lui fera est de n’ĂȘtre plus femme. Il est dĂ©jĂ  assez difficile de mettre quelque vĂ©ritĂ© Ă  l’intĂ©rieur d’une bouche d’homme » p. 329. 78Enfin, en dĂ©pit de l’insistance de Marguerite Yourcenar sur la nĂ©cessitĂ© de faire silence en elle pour faire advenir la parole d’Hadrien, c’est par sa propre voix qu’elle insuffle la vie Ă  son personnage. Paola Ricciulli remarque ainsi que l’insistance sur le silence de l’auteur est trop marquĂ©e pour n’ĂȘtre pas suspecte. DerriĂšre la neutralitĂ© apparente, de discrĂštes traces de subjectivitĂ© transparaissent les goĂ»ts, les rĂ©flexions, le style communs au narrateur et Ă  l’auteur, visibles par exemple dans l’abondance des maximes, ou encore la langue elle-mĂȘme, trahissent cette communautĂ© de voix 35 Paola Ricciulli, Voix de l’auteur et voix du narrateur dans MĂ©moires d’Hadrien », dans Hadrien o ... Le vĂ©hicule de la communication est donc la langue de l’auteur et non celle du narrateur. Il ne s’agit pas lĂ  d’une intervention » nĂ©gligeable de la part de Yourcenar si l’on considĂšre l’ensemble des fonctions et des valeurs » exprimĂ©es, mĂȘme indirectement, par la langue. Un choix dictĂ© certainement par l’immense difficultĂ© de faire parler entre eux les gens de l’AntiquitĂ© », mais qui transforme, objectivement, ce chant intime » en un chant Ă  deux voix »35. 79Ainsi ce portrait d’une voix », traversĂ© par des visages, figures omniprĂ©sentes mais silencieuses, comme autant d’ombres portĂ©es sur l’existence d’Hadrien, se veut-il plongĂ©e dans l’intĂ©rioritĂ© protĂ©iforme d’un ĂȘtre auquel l’auteur prĂȘte sa voix. À travers la reconstitution de ces souvenirs, Marguerite Yourcenar cherche Ă  saisir Hadrien toute la complexitĂ© de ce qui le fait individu, personnage, homme 36 La citation est extraite de Mishima ou la vision du vide. 37 Yves-Alain Favre, Conscience du sacrĂ© et sacrĂ© de la conscience dans l’Ɠuvre de Marguerite Yourc ... tout d’abord l’individu, changeant, Ă©pars et contradictoire, qui tantĂŽt se cache et tantĂŽt se rend visible, vĂ©ritable ProtĂ©e qui demeure difficile Ă  saisir ; ensuite le personnage, forgĂ© par l’individu et destinĂ© Ă  servir de masque ou d’écran afin de se protĂ©ger ou de sciemment provoquer autrui ; on peut aisĂ©ment le dĂ©finir, mais il n’apporte guĂšre de rĂ©vĂ©lation dĂ©cisive. En fin, plus profondĂ©ment, l’homme rĂ©el et ce ce secret impĂ©nĂ©trable qui est celui de toute vie36 ». Cette essence de l’ĂȘtre reste Ă©nigmatique pour autrui ; le terme d’ impĂ©nĂ©trable » montre bien qu’il s’agit d’un secret, donc d’une rĂ©alitĂ© sacrĂ©e, qui Ă©chappe Ă  toute prise de l’intelligence37. 80C’est prĂ©cisĂ©ment dans cette triple perception de l’ĂȘtre que se dessine l’universalitĂ© Ă  laquelle aspire Marguerite Yourcenar est-ce Ă  dire qu’en dĂ©pit d’une inscription historique forte, MĂ©moires d’Hadrien porte la trace de l’éternitĂ© ? Le grand pan n’est pas mort 38 Voir Philippe Borgeaud, La mort du grand Pan. ProblĂšmes d’interprĂ©tation », Revue de l’histoire ... 81Au IIe siĂšcle aprĂšs JĂ©sus-Christ, Plutarque annonce, dans un passage Ă©nigmatique de son traitĂ© Sur la disparition des oracles, la mort du grand Pan38 », figure du paganisme et du Tout. En recrĂ©ant la vie d’un empereur contemporain de Plutarque, et qui fut son admirateur et son hĂŽte p. 87, Marguerite Yourcenar dĂ©montre exactement le contraire. Hadrien s’attache Ă  prĂ©server les traditions polythĂ©istes de la GrĂšce et de Rome, mais surtout il incarne la possibilitĂ© pour l’individu de se savoir partie d’un tout qui lui demeure accessible. Figure prismatique, reflet changeant du lecteur et de l’auteur, personnage insaisissable et voix encore audible, il atteste la porositĂ© des frontiĂšres de l’ĂȘtre. À travers le bĂątisseur du PanthĂ©on, et par la dĂ©marche mĂȘme qui prĂ©side Ă  son Ă©criture, Marguerite Yourcenar tĂ©moigne que Tout » est encore prĂ©sent Ă  qui sait le reconnaĂźtre. Hadrien, homme de tous les temps 82En rĂ©inventant les MĂ©moires d’un personnage historique, Marguerite Yourcenar peint une pĂ©riode bien prĂ©cise, et Ă  nulle autre pareille, ce IIe siĂšcle [...] des derniers hommes libres », dont elle admet dans les Carnets de notes que nous sommes peut-ĂȘtre dĂ©jĂ  fort loin » p. 342. Mais la modalisation apportĂ©e par ce peut-ĂȘtre » en dit long sur l’aura d’éternitĂ© qui Ă©mane d’Hadrien. Marguerite Yourcenar choisit de redonner parole et vie Ă  un personnage Ă  la fois attachĂ© aux traditions dans ce qu’elles ont de plus fĂ©cond et de moins sclĂ©rosant – la pensĂ©e libre des Grecs –, et tournĂ© vers le progrĂšs au sens le plus simple et le plus noble du terme – la marche raisonnĂ©e de Rome et du monde Le moment semblait venu », estime-t-il, de réévaluer toutes les prescriptions anciennes dans l’intĂ©rĂȘt de l’humanitĂ© » p. 128. Dans cet ĂȘtre qui n’ignore ni les origines ni l’avenir de son monde, elle retrouve ainsi ce qu’il y a d’immuable en l’homme. Parce qu’il est soumis au temps et inscrit dans le temps, Hadrien peut devenir l’image de l’homme inchangĂ©, et l’auteur fait de ce paradoxe l’une des rĂšgles de son Ă©criture [...] prendre seulement ce qu’il y a de plus durable, de plus essentiel en nous, dans les Ă©motions des sens ou dans les opĂ©rations de l’esprit, comme point de contact avec ces hommes qui comme nous croquĂšrent des olives, burent du vin, s’engluĂšrent les doigts de miel, luttĂšrent contre le vent aigre et la pluie aveuglante, et cherchĂšrent en Ă©tĂ© l’ombre d’un platane, et jouirent, et pensĂšrent, et vieillirent, et moururent. p. 332 83Hadrien lui-mĂȘme possĂšde la conscience de cette permanence des Ă©motions et sensations humaines en ce qu’elles ont de plus pur et de plus simple, peut-ĂȘtre de plus instinctif. Par ses ancĂȘtres, et notamment son grand-pĂšre Marullinus, il se sent liĂ© Ă  des temps primitifs, mais non totalement disparus La duretĂ© presque impĂ©nĂ©trable de Marullinus remontait plus loin, Ă  des Ă©poques plus antiques. C’était l’homme de la tribu, l’incarnation d’un monde sacrĂ© et presque effrayant dont j’ai parfois retrouvĂ© les vestiges chez nos nĂ©cromanciens Ă©trusques », se souvient-il lorsqu’il commence Ă  relater son existence p. 40. Il pressent aussi la parentĂ© qui l’unit Ă  ceux qui viendront aprĂšs lui. Alors qu’il achĂšve son rĂ©cit, il songe au successeur encore lointain qui transformera le visage de Rome, mais ne s’en Ă©meut guĂšre Il hĂ©ritera de nos palais et de nos archives ; il diffĂ©rera de nous moins qu’on pourrait le croire » p. 314. Apaisante, cette conscience de la continuitĂ© n’est pourtant pas la marque d’un optimisme ou d’une confiance inconsidĂ©rĂ©s. On dĂ©cĂšle aussi chez l’empereur une forme de rĂ©signation, nĂ©e de la certitude que les plus tristes aspects de la condition humaine sont eux aussi inchangeables. Sa clairvoyance se fait souvent sombre, aussi ne s’illusionne-t-il pas sur les effets de ses tentatives de rĂ©former le sort des esclaves Je doute que toute la philosophie du monde parvienne Ă  supprimer l’esclavage on en changera tout au plus le nom. Je suis capable d’imaginer des formes de servitude pires que les nĂŽtres, parce que plus insidieuses soit qu’on rĂ©ussisse Ă  transformer les hommes en machines stupides et satisfaites, qui se croient libres alors qu’elles sont asservies, soit qu’on dĂ©veloppe chez eux, Ă  l’exclusion des loisirs et des plaisirs humains, un goĂ»t du travail aussi forcenĂ© que la passion de la guerre chez les races barbares. p. 129 84En un siĂšcle encore trĂšs prĂšs de la libre vĂ©ritĂ© du pied nu », l’empereur entrevoit dĂ©jĂ  les dĂ©formations Ă  venir, qui pourtant ne suffisent pas Ă  altĂ©rer la substance, la structure humaine » p. 333. 85La perception conjointe de l’immuable et du changeant permet Ă  Marguerite Yourcenar de faire de son personnage un homme de tous les temps, sans pour cela verser dans une indiffĂ©renciation des siĂšcles qui serait simplificatrice et mensongĂšre. Hadrien reflĂšte en vĂ©ritĂ© un certain mouvement de l’histoire, une disposition de l’esprit humain qui refait surface de distance en distance et assure la continuitĂ© en mĂȘme temps qu’elle la rĂ©vĂšle. Dans Les Yeux ouverts, Marguerite Yourcenar dit reconnaĂźtre en cet empereur somme toute si peu romain un homme d’un autre temps, bien plus prĂšs de nous que le typique empereur romain de SuĂ©tone, ou des films et des romans Ă  grand spectacle ; en un sens, c’est un homme de la Renaissance » YO, p. 152. MĂ©cĂšne avisĂ©, humaniste avant l’heure, Ă©pris de toutes les humanitĂ©s », voyageur libre et passionnĂ© de grandes dĂ©couvertes, Hadrien tient Ă  la fois de Laurent le Magnifique, d’Érasme et de Montaigne, et peut-ĂȘtre parfois, dans son pragmatisme politique, de Machiavel. Ces rencontres d’esprits, nĂ©anmoins, n’arrachent pas Hadrien Ă  son siĂšcle lui-mĂȘme signale que ses idĂ©aux sont fort partagĂ©s et relĂšvent d’un esprit des temps » Humanitas, Felicitas, Libertas ces beaux mots qui figurent sur les monnaies de mon rĂšgne, je ne les ai pas inventĂ©s. N’importe quel philosophe grec, presque tout Romain cultivĂ© se propose du monde la mĂȘme image que moi » p. 126. Mais c’est prĂ©cisĂ©ment parce qu’elle est en prise avec son Ă©poque tout en la dĂ©bordant que l’Ɠuvre d’Hadrien est grande et Ă©veille des rĂ©sonances renaissantes en faisant renaĂźtre la GrĂšce, en bĂątissant temples et bibliothĂšques, il assure l’un des relais qui permettront aux hommes du XVIe siĂšcle de faire Ă  leur tour renaĂźtre Rome. Conscient de travailler avec les hommes du passĂ©, il tend aussi la main Ă  ceux des siĂšcles futurs J’avais collaborĂ© avec les Ăąges, avec la vie grecque elle-mĂȘme ; l’autoritĂ© que j’exerçais Ă©tait moins un pouvoir qu’une mystĂ©rieuse puissance, supĂ©rieure Ă  l’homme, mais qui n’agit efficacement qu’à travers l’intermĂ©diaire d’une personne humaine ; le mariage de Rome et d’AthĂšnes s’était accompli ; le passĂ© reprenait un visage d’avenir p. 192. 86De renaissance en renaissance, l’action de quelques hommes d’exception sur la marche du temps permet d’espĂ©rer, en plein XXe siĂšcle, le retour d’un saeculum aureum » qui prendrait le visage de cette paix Ă  la fois fragile et exceptionnellement durable gagnĂ©e par Hadrien. Le personnage yourcenarien Ă©labore en effet une thĂ©orie de l’harmonie des peuples d’autant plus porteuse d’espoir qu’elle Ă©mane d’un pragmatique et non d’un utopiste [...] chaque heure d’accalmie Ă©tait une victoire, prĂ©caire comme elles le sont toutes ; chaque dispute arbitrĂ©e un prĂ©cĂ©dent, un gage pour l’avenir. Il m’importait assez peu que l’accord fut extĂ©rieur, imposĂ© du dehors, probablement temporaire je savais que le bien comme le mal est affaire de routine, que le temporaire se prolonge, que l’extĂ©rieur s’infiltre au-dedans, et que le masque, Ă  la longue, devient visage. Puisque la haine, la sottise, le dĂ©lire ont des effets durables, je ne voyais pas pourquoi la luciditĂ©, la justice, la bienveillance n’auraient pas les leurs. p. 111 87Ce prĂ©cĂ©dent » d’apaisement que reprĂ©sente le rĂšgne d’Hadrien acquiert un Ă©clat tout particulier en 1951, celui des rĂȘves que l’on croit sur le point de se rĂ©aliser. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la renaissance de la pax romana est plus que jamais dĂ©sirable et, reconsidĂ©rant son roman une trentaine d’annĂ©es aprĂšs sa parution, Marguerite Yourcenar admet l’avoir crue possible Les Nations unies, Ă  ce moment-lĂ , cela comptait. Enfin, on pouvait imaginer un manipulateur de gĂ©nie capable de rĂ©tablir la paix pendant cinquante ans, une pax americana ou europeana, peu importe. On ne l’a pas eu. Il ne s’est prĂ©sentĂ© que de brillants seconds. Mais, Ă  l’époque, j’avais la naĂŻvetĂ© de croire que c’était encore possible. On pouvait se dire qu’un homme plus intelligent, plus capable de naviguer dans une passe difficile, avait des chances de rĂ©ussite... Je me rends compte maintenant que c’était une illusion. C’est ce qui fait que je suis passĂ©e d’Hadrien Ă  L’ƒuvre au noir. Mais au temps oĂč j’écrivais MĂ©moires d’Hadrien, il Ă©tait possible d’espĂ©rer, pour une pĂ©riode trĂšs courte encore, dans cette euphorie qui suit la fin des guerres... YO, p. 149 88ƒuvre en apparence si dĂ©tachĂ©e de son siĂšcle, MĂ©moires d’Hadrien s’avĂšre ainsi ĂȘtre le fruit d’une explosion de violence – Avoir vĂ©cu dans un monde qui se dĂ©fait m’enseignait l’importance du Prince », reconnaĂźt l’auteur p. 328 – et d’une Ă©troite pĂ©riode d’espĂ©rance. En ce sens, le roman est bien un reflet de son temps. Il ne s’agit pas pour Marguerite Yourcenar de tendre Ă  ses contemporains un miroir idĂ©al de leur Ă©poque – son personnage lui-mĂȘme rĂ©cuse tout idĂ©alisme La paix Ă©tait mon but, mais point du tout mon idole ; le mot mĂȘme d’idĂ©al me dĂ©plairait comme trop Ă©loignĂ© du rĂ©el » p. 111. Sans doute songe-t-elle moins encore Ă  offrir aux hommes d’État de son temps un modĂšle de bon gouvernement elle ne s’attendait guĂšre Ă  ce que son livre soit lu, moins encore Ă  ce qu’il soit compris Seuls, quelques amateurs de destinĂ©e humaine comprendront », Ă©crit-elle dans les Carnets de notes p. 340. Elle n’en tĂ©moigne pas moins d’une foi peut-ĂȘtre passagĂšre mais qui traduit la survivance d’une ambition humaine jamais tout Ă  fait Ă©teinte dans le personnage d’Hadrien perdurent et renaissent les espoirs de l’empereur qui rĂ©gnait sur les derniers hommes libres ». Homo sum... 39 TĂ©rence, L’HĂ©autontimoroumĂ©nos, dans ComĂ©dies II, J. Marouzeau et J. GĂ©rard trad., Paris, Les Be ... 89Homme de tous les temps, Hadrien le multiple est aussi potentiellement tous les hommes. L’empereur pourrait faire sienne la phrase cĂ©lĂšbre de l’ancien esclave TĂ©rence Homo sum ; nihil a me alienum puto39 » il est homme, et rien de ce qui est humain ne semble lui ĂȘtre Ă©tranger. Humanistes, les MĂ©moires d’Hadrien le sont par leurs affinitĂ©s avec le courant de pensĂ©e renaissant, mais aussi plus immĂ©diatement par l’attention soutenue et souvent humble que le narrateur accorde Ă  l’humain. Sans cesse en mouvement, mais symboliquement au centre de l’empire et de tout, Hadrien interroge sa place et sa mesure d’homme, ouvrant ainsi l’humanisme sur un universalisme. L’aventure humaine » 90 En un sens, toute vie racontĂ©e est exemplaire », Ă©crit Marguerite Yourcenar dans les Carnets de notes p. 342, avant de souligner les dangers que fait courir au biographe un propos exclusivement dĂ©monstratif le propos y perd de ses nĂ©cessaires nuances, la vie racontĂ©e » de sa complexitĂ©. De quoi Hadrien, grand homme, certes, mais homme faillible, est-il l’exemple ? Les Carnets de notes suggĂšrent peu aprĂšs une rĂ©ponse Ă  la fois simple et paradoxale il est celui qui a, par excellence et pleinement, vĂ©cu l’aventure humaine » ibid., exemplaire moins par l’exceptionnel statut qui le distingue des autres hommes que par sa facultĂ© Ă  ĂȘtre Ă  la fois lui-mĂȘme et eux tous. Alors qu’il s’apprĂȘte Ă  retracer son existence, il rĂ©sume par la nĂ©gative cette ambivalence fĂ©conde TantĂŽt ma vie m’apparaĂźt banale, au point de ne pas valoir d’ĂȘtre, non seulement Ă©crite, mais mĂȘme un peu longuement contemplĂ©e, nullement plus importante, mĂȘme Ă  mes propres yeux, que celle du premier venu. TantĂŽt elle me semble unique, et par lĂ  mĂȘme sans valeur, inutile, parce qu’impossible Ă  rĂ©duire Ă  l’expĂ©rience du commun des hommes p. 34. 91Par cette dualitĂ©, les MĂ©moires d’Hadrien mettent au jour ce que l’on pourrait nommer l’extraordinaire banalitĂ© – ou l’ordinaire exception – de chaque expĂ©rience. L’existence d’un empereur tout comme celle d’un homme obscur », tel le NathanaĂ«l du dernier roman de Marguerite Yourcenar, porte en elle une irrĂ©ductible unicitĂ© en mĂȘme temps que la marque du destin commun. Et que le protagoniste soit dotĂ© d’une position et d’une luciditĂ© d’exception ne fait que rendre plus perceptible cette tension. 40 Comme l’eau qui coule est le titre donnĂ© par Marguerite Yourcenar au recueil qui regroupe Anna, so ... 92Son aventure », Hadrien la mĂšne en effet au sens Ă©tymologique du terme il traverse tout ce qui doit advenir » dans une vie d’homme, plaisir et souffrance, bonheur et dĂ©tresse, amour, passion, deuil et maladie. L’imminence de son dĂ©cĂšs le rend mĂȘme apte Ă  tĂ©moigner de cette grande aventure commune qu’est la mort, aventure dans laquelle chaque ĂȘtre est en permanence engagĂ©, mais qui demeure gĂ©nĂ©ralement inconnaissable et donc indicible Dire que mes jours sont comptĂ©s ne signifie rien ; il en fut toujours ainsi ; il en est ainsi pour nous tous », admet l’empereur mourant p. 12. Mais aussitĂŽt il identifie ce qui dĂ©jĂ  le sĂ©pare des vivants, tout en lui permettant de comprendre mieux qu’eux-mĂȘmes leur condition Mais l’incertitude du lieu, du temps, et du mode, qui nous empĂȘche de bien distinguer ce but vers lequel nous avançons sans cesse, diminue pour moi Ă  mesure que progresse ma maladie mortelle » ibid. S’il lui est ainsi donnĂ© de connaĂźtre le but » de toute aventure humaine », Hadrien a aussi l’humilitĂ© d’en accepter l’absence, non pas de sens, mais de direction perceptible. Bien qu’il ait savamment construit sa carriĂšre impĂ©riale, il se sait aussi confusĂ©ment formĂ© par les remous d’un sort dont il n’a pas la maĂźtrise Je perçois bien dans cette diversitĂ©, dans ce dĂ©sordre, la prĂ©sence d’une personne, mais sa forme semble presque toujours tracĂ©e par la pression des circonstances ; ses traits se brouillent comme une image reflĂ©tĂ©e sur l’eau » p. 33. Narcisse dĂ©tournĂ© de sa propre contemplation par les rapides d’une vie qui passe comme l’eau qui coule40 », Hadrien est Ă  mĂȘme d’apercevoir, au-delĂ  du miroir des apparences, son insaisissable visage d’homme. Ses aveux d’impuissances sont en ce sens les meilleurs rĂ©vĂ©lateurs de sa clairvoyance il sait sa vue bornĂ©e et brouillĂ©e, mais le fait mĂȘme d’en avoir conscience, et de comprendre le pourquoi de cette dĂ©faillance, est dĂ©jĂ  un correctif, ainsi que le suggĂšrent les derniĂšres analyses, rĂ©signĂ©es et lucides, d’ Animula vagula blandula » [...] l’esprit humain rĂ©pugne Ă  s’accepter des mains du hasard, Ă  n’ĂȘtre que le produit passager de chances auxquelles aucun dieu ne prĂ©side, surtout pas lui-mĂȘme. Une partie de chaque vie, et mĂȘme de chaque vie fort peu digne de regard, se passe Ă  rechercher les raisons d’ĂȘtre, les points de dĂ©part, les sources. p. 35 93L’Hadrien yourcenarien ne diffĂšre en somme des autres hommes que par le fait de se savoir tout Ă  fait homme, sans fausse modestie ni fatuitĂ©. Aussi affirme-t-il sereinement sa supĂ©rioritĂ© Il n’y a qu’un seul point sur lequel je me sens supĂ©rieur aux autres hommes je suis tout ensemble plus libre et plus soumis qu’ils n’osent l’ĂȘtre. Presque tous mĂ©connaissent Ă©galement leur juste libertĂ© et leur vraie servitude » p. 52. 94ReconnaĂźtre en l’autre son semblable ne signifie pas nĂ©cessairement le connaĂźtre ou le comprendre, ni mĂȘme se connaĂźtre ou se comprendre Tout nous Ă©chappe, et tous, et nous-mĂȘmes », Ă©crit Marguerite Yourcenar p. 331, et elle confĂšre cette certitude Ă  son personnage. Mais c’est s’offrir la possibilitĂ© d’entrer, mĂȘme passagĂšrement, dans la vie d’un autre, et de dĂ©couvrir ainsi une autre facette de l’humain. Hadrien paraĂźt en effet douĂ© de la facultĂ© de cerner au plus prĂšs mĂȘme ceux qui diffĂšrent radicalement de lui, et peut-ĂȘtre surtout ceux qui diffĂšrent de lui. Trop proche, AntinoĂŒs lui demeure illisible il semble Ă  l’empereur que, par son dĂ©vouement mĂȘme, le favori abdique en quelque sorte une part de son altĂ©ritĂ© Je m’émerveillais de cette dure douceur ; de ce dĂ©vouement sombre qui engageait tout l’ĂȘtre. Et pourtant, cette soumission n’était pas aveugle ; ces paupiĂšres si souvent baissĂ©es dans l’acquiescement ou dans le songe se relevaient ; les yeux les plus attentifs du monde me regardaient en face ; je me sentais jugĂ©. Mais je l’étais comme un dieu l’est par son fidĂšle mes duretĂ©s, mes accĂšs de mĂ©fiance car j’en eus plus tard Ă©taient patiemment, gravement acceptĂ©s. Je n’ai Ă©tĂ© maĂźtre absolu qu’une fois, et que d’un seul ĂȘtre. p. 171 95MĂȘme au-delĂ  de la mort, AntinoĂŒs demeure ce bel Ă©tranger que reste malgrĂ© tout chaque ĂȘtre qu’on aime » p. 189. Bien plus accessibles en revanche sont les ĂȘtres que tout, a priori, Ă©loigne d’Hadrien. Il parvient ainsi Ă  observer dans toute sa vĂ©ritĂ© la maĂźtresse infidĂšle Ă  laquelle il offre de quoi acheter l’amour d’un autre, le danseur Bathylle Elle s’assit par terre, petite figure nette de joueuse d’osselets, vida le sac sur le pavement, et se mit Ă  diviser en tas le luisant monceau. Je savais que pour elle, comme pour nous tous, prodigues, ces piĂšces d’or n’étaient pas des espĂšces trĂ©buchantes marquĂ©es d’une tĂȘte de CĂ©sar, mais une matiĂšre magique, une monnaie personnelle, frappĂ©e Ă  l’effigie d’une chimĂšre, au coin du danseur Bathylle. Je n’existais plus. Elle Ă©tait seule. Presque laide, plissant le front avec une dĂ©licieuse indiffĂ©rence Ă  sa propre beautĂ©, elle faisait et refaisait sur ses doigts, avec une moue d’écolier, les additions difficiles. Elle ne m’a jamais tant charmĂ©. p. 78 96De mĂȘme que l’homme riche sait comprendre la femme qui a d’immenses besoins d’argent » ibid., le maĂźtre de Rome devine les motivations et les rĂ©actions de l’obscur esclave des mines de Tarragone qui cherche Ă  le tuer Point illogiquement, il se vengeait sur l’empereur de ses quarante-trois ans de servitude. Je le dĂ©sarmai facilement ; sa fureur tomba ; il se transforma en ce qu’il Ă©tait vraiment, un ĂȘtre pas moins sensĂ© que les autres, et plus fidĂšle que beaucoup » p. 128. Dans une moindre mesure, il parvient mĂȘme Ă  se rapprocher de l’ennemi par excellence, Bar Kochba. La rĂ©volte juive dont ce dernier est le meneur lui est incomprĂ©hensible, mais l’ascension de l’ aventurier » de JĂ©rusalem n’est peut-ĂȘtre pas sans rapport avec la sienne Je ne puis juger ce Simon que par ouĂŻ-dire ; je ne l’ai vu qu’une fois face Ă  face, le jour oĂč un centurion m’apporta sa tĂȘte coupĂ©e. Mais je suis disposĂ© Ă  lui reconnaĂźtre cette part de gĂ©nie qu’il faut toujours pour s’élever si vite et si haut dans les affaires humaines ; on ne s’impose pas ainsi sans possĂ©der au moins quelque habiletĂ© grossiĂšre. p. 254 97Partiellement opaque Ă  lui-mĂȘme, Hadrien n’en est que plus capable de percer l’opacitĂ© des autres, ne serait-ce que parce qu’il la respecte. Sans s’exagĂ©rer les ressemblances ni les diffĂ©rences, il s’éprouve ainsi homme parmi les hommes, et admet je suis comme eux, du moins par moments, ou j’aurais pu l’ĂȘtre » p. 51. En lui, Marguerite Yourcenar construit un personnage exemplairement homme. Hommes et bĂȘtes 41 Sur ce sujet, voir Loredana Primozich, Kou-Kou-HaĂŻ ou le rĂȘve de de l’universel », dans Maria Jo ... 42 Cette couverture et cette dĂ©froque pendue Ă  un clou sentaient le suint, le lait et le sang. Ces ... 43 MĂȘme les Ăąges, les sexes, et jusqu’aux espĂšces, lui paraissaient plus proches qu’on ne le croit ... 44 RĂ©my Poignault, Hadrien, le limes et l’exil », dans Marguerite Yourcenar, Cume an spearwa... » ... 98Les efforts de comprĂ©hension d’Hadrien ne se circonscrivent toutefois pas Ă  l’homme ; ils tendent Ă  s’ouvrir Ă  tout ce qui l’entoure. Si l’humain se dĂ©finit pour une part dans son rapport au divin, il ne trouve son exacte place qu’en s’inscrivant dans le monde naturel. Cette prĂ©occupation, constante chez Marguerite Yourcenar, s’est exprimĂ©e dans ses prises de position Ă©cologistes et ses engagements en faveur de la cause animale, mais Ă©galement dans son Ɠuvre littĂ©raire, depuis Suite d’estampes pour Kou-Kou-HaĂŻ », texte poĂ©tique composĂ© en 1927 en hommage Ă  l’un de ses chiens dont elle fait une figure de l’universel41, jusqu’à sa confĂ©rence du 8 avril 1981 intitulĂ©e, d’aprĂšs l’EcclĂ©siaste, Qui sait si l’ñme des bĂȘtes s’en va en bas ? » et publiĂ©e dans Le Temps, ce grand sculpteur. La thĂ©matique demeure relativement discrĂšte dans MĂ©moires d’Hadrien l’auteur se garde de projeter sur son personnage ses engagements personnels. Hadrien ne va pas jusqu’aux mĂ©ditations de ZĂ©non, qui retrouve dans chaque objet l’ĂȘtre dont il provient42, ou de NathanaĂ«l qui fraternise avec tout ce qui existe43. Il lui arrive nĂ©anmoins de communier avec les Ă©lĂ©ments lorsque, malade, le plaisir de la nage lui est dĂ©fendu, il parvient Ă  le revivre en pensĂ©e et Ă  dĂ©passer le souvenir des sensations humaines pour se fondre dans une eau dont il Ă©prouve ainsi la libre mobilitĂ© Il y eut des moments oĂč cette comprĂ©hension s’efforça de dĂ©passer l’humain, alla du nageur Ă  la vague » p. 15. Il exauce alors mieux que jamais son propre vƓu d’immersion dans le Tout, Ă©voquĂ© par RĂ©my Poignault Le personnage de Marguerite Yourcenar, dans un souci d’indĂ©pendance, souhaiterait abolir toutes les limites ainsi l’humain, atteignant l’universel, coĂŻncidant avec le Tout, il n’y aura plus aucune possibilitĂ© ouverte Ă  un quelconque exil44 » – instant sans doute miraculeux pour un homme immobilisĂ© qui se meurt d’hydropisie. 99C’est cependant surtout dans son rapport au rĂšgne animal qu’Hadrien s’avĂšre capable de franchir les limites de l’humain. FĂ©ru d’art cynĂ©gĂ©tique, il exerce dans la chasse une violence instinctive qui traduit son amour d’une faune qu’il respecte et divinise. Ainsi affirme-t-il avoir toujours entretenu avec la Diane des forĂȘts les rapports changeants et passionnĂ©s d’un homme avec l’objet aimĂ© » p. 13. Tuer une proie n’est pas, dans l’esprit du chasseur, le moyen d’affirmer la suprĂ©matie des hommes sur les bĂȘtes, mais au contraire une maniĂšre de s’égaler Ă  elles, en rĂ©intĂ©grant le cycle naturel des vies et des morts. Hadrien renoue avec d’ancestrales reprĂ©sentations du chasseur lorsqu’il dĂ©taille l’émotion qui le saisit au passage d’un cerf MĂȘme ici, Ă  Tibur, l’ébrouement soudain d’un cerf sous les feuilles suffit [...] Ă  faire tressaillir en moi un instinct plus ancien que tous les autres, et par la grĂące duquel je me sens guĂ©pard aussi bien qu’empereur » p. 14. Mieux encore que la bĂȘte sauvage, l’animal domestiquĂ© enseigne Ă  l’homme ce qu’il est profondĂ©ment un fauve n’est qu’un adversaire, mais un cheval Ă©tait un ami », se souvient Hadrien ibid. Le cheval BorysthĂšnes, auquel l’Hadrien historique fit Ă©lever un tombeau et dont le nom est donnĂ© Ă  un village p. 304, paraĂźt occuper dans la vie de l’empereur une place aussi importante que CĂ©ler, ami des derniĂšres annĂ©es et aide de camp chargĂ© des montures de l’empereur vieillissant. La parfaite docilitĂ© du cheval repose en effet sur une comprĂ©hension Ă©troite et rĂ©ciproque entre l’homme et l’animal il savait exactement, et mieux que moi peut-ĂȘtre, le point oĂč ma volontĂ© divorçait d’avec ma force » p. 15. GrĂące Ă  lui, Hadrien semble bien avoir Ă©tĂ© par instant cette crĂ©ature hybride dans laquelle il projette son moi idĂ©al Si l’on m’avait laissĂ© le choix de ma condition, j’eusse optĂ© pour celle de Centaure », affirme-t-il p. 14 – et l’allusion mythologique est ici bien plus qu’une hyperbole destinĂ©e Ă  traduire la passion de l’art Ă©questre. 45 Cette image de Lucius a-t-elle Ă©tĂ© suggĂ©rĂ©e Ă  Marguerite Yourcenar par la performance rĂ©volutionna ... 46 Voir la signification que Victor Hugo confĂšre Ă  cette figure mythologique dans Le Satyre » prem ... 100À l’image de cet autoportrait en Centaure, les comparaisons et mĂ©taphores choisies par le narrateur traduisent sa perception des ĂȘtres, et d’un monde oĂč les frontiĂšres sont tĂ©nues entre l’humain et l’animal. Pour traduire la lĂ©gĂšretĂ© et l’effronterie capricantes du jeune Lucius, Hadrien Ă©voque un demi-dieu aux pieds et cornes de bouc ce jeune faune dansant45 occupa six mois de ma vie » p. 122. La silhouette de Pan, en qui se rejoignent animalitĂ© et humanitĂ©46, et auquel les faunes sont apparentĂ©s, se profile alors. C’est Ă©galement sous le signe de celui dont le nom signifie Tout » qu’est placĂ©e la rencontre avec AntinoĂŒs l’éraste remarque pour la premiĂšre fois l’éromĂšne lors d’une rĂ©union qui se dĂ©roule au bord d’une source consacrĂ©e Ă  Pan » p. 169. En compagnie de son favori, Hadrien s’adonne aux plaisirs de la musique, et joue - est-ce un hasard ? – de la flĂ»te, instrument associĂ© Ă  la figure mythologique de Pan p. 175. On ne s’étonne guĂšre que, placĂ© sous de tels auspices, le jeune Bythinien ne cesse d’ĂȘtre lui-mĂȘme dĂ©peint comme une crĂ©ature mi-humaine mi-animale. Hadrien voit en lui tantĂŽt un beau lĂ©vrier avide de caresses et d’ordres » p. 170, tantĂŽt un chevreau mis en prĂ©sence d’un reptile » p. 195, tantĂŽt un jeune faon » p. 194. Si ce rĂ©seau mĂ©taphorique suggĂšre le caractĂšre fragile et sauvage d’AntinoĂŒs, et met en relief l’autoritĂ© qu’exerce sur lui Hadrien, il est loin d’ĂȘtre le signe de l’incommunicabilitĂ© tragique qui peu Ă  peu sĂ©pare les deux hommes. Ces images d’animalitĂ© sont peut-ĂȘtre au contraire le peu que l’empereur a su saisir de son favori, fidĂšle et dĂ©vouĂ© jusqu’à s’assimiler lui-mĂȘme, par son suicide, Ă  l’un des animaux familiers d’Hadrien. Les prĂ©ceptes de la sorciĂšre de Canope, qu’AntinoĂŒs respecte Ă  la lettre, spĂ©cifient en effet que le sacrifice est d’autant plus efficace que la crĂ©ature immolĂ©e est proche du bĂ©nĂ©ficiaire Autant que possible », rappelle Hadrien, la victime devait m’avoir appartenu ; il ne pouvait s’agir d’un chien, bĂȘte que la superstition Ă©gyptienne croit immonde ; un oiseau eĂ»t convenu » p. 211. AntinoĂŒs fait tout d’abord l’offrande de son faucon, dont la petite tĂȘte ensommeillĂ©e et sauvage » p. 212 n’est pas sans rappeler le portrait qu’Hadrien trace du jeune homme. Il choisit ensuite de devenir lui-mĂȘme l’oiseau sacrifiĂ©, et se mĂ©tamorphose ainsi en un nouvel Osiris, dieu noyĂ© et pĂšre d’Horus, divinitĂ© solaire Ă  tĂȘte de faucon. Dans le regard d’Hadrien, dans le geste d’AntinoĂŒs, dans l’écriture de Marguerite Yourcenar, l’animal, l’homme et le dieu parfois se confondent, unissant l’individuel et l’universel. Vers un savoir universel 101Homme de la Renaissance avant l’heure, maĂźtre d’un monde mais aussi explorateur d’un monde plus vaste encore au regard duquel il questionne ses propres limites, Hadrien ressemble Ă  l’Adam Ă©voquĂ© par Pic de la Mirandole dans un extrait de l’Oratio de hominis dignitate placĂ© par Marguerite Yourcenar en Ă©pigraphe de L’ƒuvre au noir 47 L’ƒuvre au noir, op. cit., p. 10. Je ne t’ai donnĂ© ni visage, ni place qui te soit propre, ni aucun don qui te soit particulier, ĂŽ Adam, afin que ton visage, ta place, et tes dons, tu les veuilles, les conquiĂšres et les possĂšdes par toi-mĂȘme. Nature enferme d’autres espĂšces en des lois par moi Ă©tablies. Mais toi, que ne limite aucune borne, par ton propre arbitre, entre les mains duquel je t’ai placĂ©, tu te dĂ©finis toi-mĂȘme. Je t’ai placĂ© au milieu de ce monde, afin que tu pusses mieux contempler ce que contient le monde. Je ne t’ai fait ni cĂ©leste ni terrestre, mortel ou immortel, afin que toi-mĂȘme, librement, Ă  la façon d’un bon peintre ou d’un sculpteur habile, tu achĂšves ta propre forme47. 48 De toutes choses connaissables », devise de Pic de la Mirandole. 102Amant passionnĂ© des statues, Hadrien se sculpte lui-mĂȘme par la Disciplina augusta » et la Patientia », mais Ă©galement par la contemplation et la connaissance, qui lui permettent d’amalgamer Ă  sa propre substance l’infinie diversitĂ© du monde. Humain aussi par ses faiblesses, l’Hadrien yourcenarien ne prĂ©tend pas pouvoir tĂ©moigner de omni re scibili48 » ; Ă  travers lui, Marguerite Yourcenar soulĂšve nĂ©anmoins la question de la possibilitĂ© mĂȘme d’un savoir qui tendrait vers l’universel. Libido sciendi... 103Les MĂ©moires d’Hadrien peuvent se lire comme la biographie d’un homme Ă©rudit recomposĂ©e par une femme qui ne l’est pas moins ; ils constituent donc, pour le lecteur, le mode d’accĂšs au savoir d’un ĂȘtre et de son temps, en mĂȘme temps qu’une source d’informations sur cet ĂȘtre et ce temps. Rien de documentaire pourtant dans l’Ɠuvre de Marguerite Yourcenar le savoir y vaut moins pour lui-mĂȘme que pour les rĂ©flexions qu’il suscite. 49 Voir Beatrice Ness, Mystification et crĂ©ativitĂ© dans l’Ɠuvre romanesque de Marguerite Yourcenar, ... 104L’existence mĂȘme de MĂ©moires d’Hadrien est le fruit d’un savoir livresque dont la Note finale permet de saisir l’ampleur et la profondeur rien de ce qui touche, de prĂšs ou de loin, Ă  Hadrien n’a semble-t-il Ă©chappĂ© Ă  Marguerite Yourcenar, qui Ă©numĂšre minutieusement ses sources, et justifie jusqu’aux moindres dĂ©tails de son Ɠuvre, expliquant par exemple que le nom d’ArĂ©tĂ©, bien qu’ arbitrairement [...] donnĂ© Ă  l’intendante de le Villa », provient d’un poĂšme authentique d’Hadrien » p. 351. C’est de l’authenticitĂ© de sa reconstitution » que l’auteur tĂ©moigne en dĂ©voilant l’immense travail d’érudition qui sous-tend le rĂ©cit, persuadĂ©e que sa valeur humaine est [...] singuliĂšrement augmentĂ©e par la fidĂ©litĂ© aux faits » p. 350. Le savoir, et l’accĂšs Ă  la vĂ©ridicitĂ© qui en Ă©mane, seraient donc des valeurs » humaines et littĂ©raires donnant au rĂ©cit son poids, Ă  l’écriture son prix, et Ă  l’auteur sa raison d’ĂȘtre elle a le sentiment d’appartenir Ă  une espĂšce de Gens Ælia, de faire partie de la foule des secrĂ©taires du grand homme, de participer Ă  cette relĂšve de la garde impĂ©riale que montent les humanistes et les poĂštes se relayant autour d’un grand souvenir » p. 344. Cependant Marguerite Yourcenar s’attache Ă  gommer autant que possible de son Ɠuvre les traces de ce savoir la Note est un texte tardif, qui ne lui a pas toujours paru indispensable aux MĂ©moires d’Hadrien et dont elle remet en cause l’utilitĂ©, alors mĂȘme qu’elle la publie Une reconstitution du genre de celle qu’on vient de lire [...] touche par certains cĂŽtĂ©s au roman et par d’autres Ă  la poĂ©sie ; elle pourrait donc se passer de piĂšces justificatives » p. 351. InterrogĂ©e sur ses mĂ©thodes de travail par Matthieu Galey, elle nie avoir effectuĂ© des recherches systĂ©matiques en bibliothĂšque, et met en avant un long et profond processus d’imprĂ©gnation, qui n’a pas nĂ©cessairement Ă©tĂ© menĂ© en vue de la rĂ©daction des MĂ©moires d’Hadrien YO, p. 139-140 la passion de connaĂźtre est bien lĂ , mais non le dĂ©sir de savoir dans un but purement utilitaire. Dans le rĂ©cit lui-mĂȘme enfin, tout ce qui pourrait rappeler au lecteur le sous-bassement Ă©rudit de l’Ɠuvre disparaĂźt l’étude gĂ©nĂ©tique du roman49 rĂ©vĂšle que Marguerite Yourcenar, en mĂȘme temps qu’elle corrigeait ce que son lexique pouvait avoir de trop actuel, a supprimĂ© des fragments de texte consacrĂ©s Ă  la description des mƓurs romaines. 105Cette volontĂ© de fondre dans le creuset du livre la somme de connaissances qui entre dans sa composition relĂšve d’abord d’un souci de vraisemblance. Ce qui n’est accessible Ă  l’écrivain ou au lecteur du XXe siĂšcle que grĂące Ă  des fouilles presque archĂ©ologiques dans d’épaisses strates de tĂ©moignages et de documents est familier Ă  Hadrien et Ă  son correspondant rien ne justifierait donc que l’épistolier s’attarde longuement sur les realia du monde romain, moins encore qu’il s’attache Ă  les expliquer. Mais la dĂ©fiance que l’on perçoit chez Marguerite Yourcenar Ă  l’égard du substrat savant qu’elle considĂšre pourtant comme indispensable Ă  son Ă©criture a Ă©galement des raisons plus profondes, dont la lettre d’Hadrien se fait l’écho. Apprendre tout ne suffit pas Ă  tout savoir, telle semble ĂȘtre la conviction partagĂ©e par l’auteur et son personnage. Avant d’entreprendre le rĂ©cit de son existence, Hadrien examine en effet les moyens de connaissance qui s’offrent Ă  lui pour parler au plus juste, et les dĂ©clare tous imparfaits Comme tout le monde, je n’ai Ă  mon service que trois moyens d’évaluer l’existence humaine l’étude de soi, la plus difficile et la plus dangereuse, mais aussi la plus fĂ©conde des mĂ©thodes ; l’observation des hommes, qui s’arrangent le plus souvent pour nous cacher leurs secrets ou pour nous faire croire qu’ils en ont ; les livres, avec les erreurs particuliĂšres de perspectives qui naissent entre leurs lignes. p. 30 106S’il dĂ©clare prĂ©fĂ©rer la connaissance par les livres Ă  l’observation directe des hommes », mĂ©thode moins complĂšte encore » p. 31, il juge lacunaire par nature le savoir livresque, qui ne fait sens qu’au regard de l’expĂ©rience la vie [lui] a Ă©clairci les livres » p. 30, et ses rĂ©serves rejoignent et explicitent tout Ă  la fois l’attitude prudente de Marguerite Yourcenar Ă  l’égard de ses sources. Selon Hadrien, l’écrit, transmutation du rĂ©el, n’en retient qu’un reflet fragmentaire ou Ă©purĂ©, c’est-Ă -dire nĂ©cessairement faussĂ©, gauchi Je m’accommoderais fort mal d’un monde sans livres, mais la rĂ©alitĂ© n’est pas lĂ , parce qu’elle n’y tient pas tout entiĂšre », rĂ©sume-t-il p. 31. 50 Les philosophes font subir Ă  la rĂ©alitĂ©, pour pouvoir l’étudier pure, Ă  peu prĂšs les mĂȘmes trans ... 107Livre bĂąti avec et sur des livres, les MĂ©moires d’Hadrien disent la passion de lire, le caractĂšre indispensable de la lecture, les pouvoirs du livre, et notamment de la fiction Ă  propos des contes, Hadrien admet bien que ces derniers soient rĂ©putĂ©s frivoles, je leur dois peut-ĂȘtre plus d’informations que je n’en ai recueilli dans les situations assez variĂ©es de ma propre vie » p. 30. Marguerite Yourcenar, et Hadrien plus encore, qui vit Ă  une Ă©poque oĂč une culture exhaustive est encore possible, semblent avoir lu tous les livres » J’ai lu Ă  peu prĂšs tout ce que nos historiens, nos poĂštes, et mĂȘme nos conteurs ont Ă©crit », affirme l’empereur ibid. Ils y puisent un savoir immense, mais aussi la conscience aiguĂ« de ce qui leur Ă©chappe les livres, lieu de naissance de l’Hadrien pensant qui a pu y port[er] pour la premiĂšre fois un coup d’Ɠil intelligent sur soi-mĂȘme » p. 43, ne suffisent cependant pas Ă  lui expliquer sa propre vie. De mĂȘme, pour Marguerite Yourcenar recomposant l’homme qu’il a Ă©tĂ©, Hadrien n’est pas, ou n’est plus, ou n’est pas tout entier dans les livres qui le dĂ©peignent, ni mĂȘme dans les textes qu’il a Ă©crit. Est-il davantage dans MĂ©moires d’Hadrien ? Le roman peut-il autre chose qu’approcher la vĂ©ritĂ© d’un ĂȘtre tout en suggĂ©rant honnĂȘtement, sinon sa propre vanitĂ©, du moins ses limites ? Les impressions Ă©prouvĂ©es par le lecteur et par l’auteur elle-mĂȘme au cours de son travail laissent Ă  penser que oui. Hadrien parle Hadrien pouvait parler de sa vie plus fermement et plus subtilement que moi », disent les Carnets de notes, p. 330, il ment, parfois À de certains moments, d’ailleurs peu nombreux, il m’est mĂȘme arrivĂ© de sentir que l’empereur mentait. Il fallait alors le laisser mentir, comme nous tous », p. 341 et, parce qu’il ment, s’affranchit ce cette rĂ©alitĂ© pure mais atomisĂ©e des philosophes que lui-mĂȘme rĂ©cuse50 le temps d’une lecture, Hadrien existe, parce qu’à l’amour du savoir et de la sagesse se mĂȘlent, dans l’écriture de Marguerite Yourcenar, d’autres amours. ... et magie sympathique » 108La connaissance, et en particulier la connaissance de l’autre ses contemporains pour Hadrien, et Hadrien lui-mĂȘme pour Marguerite Yourcenar, ne relĂšve en effet pas exclusivement de la saisie intellectuelle. Elle peut aussi ĂȘtre le fruit d’une rencontre plus intuitive, presque d’ordre mystique. À seize ans, Hadrien apprend du mĂ©decin LĂ©otichyde, esprit positif et adepte d’une mĂ©thode empirique Ă  prĂ©fĂ©rer les choses aux mots » p. 47. C’est pourtant bien grĂące aux mots, et plus prĂ©cisĂ©ment grĂące Ă  la rhĂ©torique, qu’il a dĂ©couvert peu auparavant la facultĂ© de devenir autre par un effort de l’esprit Quant aux exercices de rhĂ©torique oĂč nous Ă©tions successivement XerxĂšs et ThĂ©mistocle, Octave et Marc-Antoine, ils m’enivrĂšrent ; je me sentis ProtĂ©e. Il m’apprirent Ă  entrer tour Ă  tour dans la pensĂ©e de chaque homme, Ă  comprendre que chacun dĂ©cide, vit et meurt selon ses propres lois. p. 44 51 Edith Marcq, L’empathie ou une maniĂšre d’écriture yourcenarienne », dans Marguerite Yourcenar, Ă© ... 109L’ivresse Ă  la fois naĂŻve et profonde de l’étudiant grec » n’est pas sans lien avec les rituels d’écriture mis en place par Marguerite Yourcenar elle-mĂȘme, que les mots mĂšnent aux choses et aux ĂȘtres. La connaissance Ă©rudite et aussi exhaustive que possible de son sujet lui offre en effet la possibilitĂ© d’une intimitĂ© vĂ©ritable avec les ĂȘtres qu’elle Ă©voque comme on Ă©voque un esprit. Les Carnets de notes dĂ©crivent une mĂ©thode dans laquelle savoir et sensation sont indissociables, et qui conduit Ă  un contact, Ă  une communication, voire Ă  une communion avec ce qui Ă©chappe Ă  l’intellect Un pied dans l’érudition, l’autre dans la magie, ou plus exactement, et sans mĂ©taphore, dans cette magie sympathique qui consiste Ă  se transporter en pensĂ©e Ă  l’intĂ©rieur de quelqu’un » p. 330. Pour que les MĂ©moires d’Hadrien dĂ©passent l’aporie des livres oĂč la rĂ©alitĂ© n’entre pas tout entiĂšre », il ne suffit pas de tout savoir de l’empereur l’auteur Ă©prouve Ă©galement le besoin de sentir avec lui, de sentir en lui ce qu’il a Ă©tĂ©. La sympathie est alors Ă  entendre dans son sens le plus courant comme dans son sens Ă©tymologique la magie » sans doute, ne saurait opĂ©rer sans certaines affinitĂ©s Ă©lectives qui unissent la crĂ©atrice et son personnage, mais elle consiste Ă  participer Ă  ses joies, Ă  ses peines, Ă  ses passions, Ă  Ă©prouver les propres lois » de l’autre, Ă  un tel degrĂ© que l’on a pu qualifier d’empathique l’écriture yourcenarienne51. 110Et peut-ĂȘtre est-ce par ce goĂ»t et cette facultĂ© de se fondre en l’autre que Marguerite Yourcenar rejoint le plus Ă©troitement le personnage qu’elle rĂ©invente. Il s’agit lĂ  en effet de l’une des prĂ©occupations constantes d’Hadrien tel qu’elle le reprĂ©sente, tel qu’elle dit l’avoir entendu. Tout au long de son existence, il semble chercher Ă  retrouver l’éblouissement causĂ© par les exercices de rhĂ©torique qui avaient ressuscitĂ© en lui d’illustres disparus. Mais le prodige, alors, s’étend aux vivants comme aux morts, aux intimes comme aux inconnus, et potentiellement Ă  tout ĂȘtre. Lorsqu’il s’agit d’AntinoĂŒs, ces tentatives achoppent les marbres les plus criants de ressemblance ne peuvent redonner vie au dĂ©funt, les efforts les plus douloureux pour retrouver ses ultimes sensations ne peuvent permettre Ă  l’endeuillĂ© de vivre sa mort Je reconstituais le flĂ©chissement de la passerelle sous les pas pressĂ©s, la berge aride, le dallage plat ; le couteau qui scie une boucle au bord de la tempe ; le corps inclinĂ© ; la jambe qui se replie pour permettre Ă  la main de dĂ©nouer la sandale ; une maniĂšre unique d’écarter les lĂšvres en fermant les yeux. Il avait fallu au bon nageur une rĂ©solution dĂ©sespĂ©rĂ©e pour Ă©touffer dans cette boue noire. l’essayai d’aller en pensĂ©e jusqu’à cette rĂ©volution par oĂč nous passerons tous, le coeur qui renonce, le cerveau qui s’enraye, les poumons qui cessent d’aspirer la vie. Je subirai un bouleversement analogue. Mais chaque agonie est diffĂ©rente ; mes efforts pour imaginer la sienne n’aboutissaient qu’à une fabrication sans valeur il Ă©tait mort seul. p. 223-224 111Le caractĂšre ineffable et incomprĂ©hensible de chaque mort n’est cependant peut-ĂȘtre pas le vĂ©ritable obstacle Ă  cette tentative de souffrir le trĂ©pas d’un autre. Marguerite Yourcenar dit s’y ĂȘtre essayĂ©e, et semble-t-il avec plus de succĂšs, puisque l’expĂ©rience de la mort revĂ©cue d’Hadrien a donnĂ© naissance aux derniĂšres pages du livre Le 26 dĂ©cembre 1950, par un soir glacĂ©, au bord de l’Atlantique, dans le silence presque polaire de l’Île des Monts DĂ©serts, aux États-Unis, j’ai essayĂ© de revivre la chaleur, la suffocation d’un jour de juillet 138 Ă  BaĂŻes, le poids du drap sur les jambes lourdes et lasses, le bruit presque imperceptible de cette mer sans marĂ©es arrivant çà et lĂ  Ă  un homme occupĂ© des rumeurs de sa propre agonie. J’ai essayĂ© d’aller jusqu’à la derniĂšre gorgĂ©e d’eau, le dernier malaise, la derniĂšre image. L’empereur n’a plus qu’à mourir. p. 342-343 112Si Hadrien ne peut faire l’expĂ©rience des derniers instants d’AntinoĂŒs, c’est plus vraisemblablement parce que la solitude extrĂȘme, par essence, ne se partage pas rejoindre le jeune homme, sympathiser avec lui dans son suicide impliquerait qu’il cesse d’ĂȘtre lui-mĂȘme, et Hadrien se montre attentif Ă  ne pas dĂ©naturer le dernier acte de son amant, dĂ»t-il pour cela renoncer Ă  le comprendre En prenant sur moi toute la faute, je rĂ©duis cette jeune figure aux proportions d’une statuette de cire que j’aurais pĂ©trie, puis Ă©crasĂ©e entre mes mains. Je n’ai pas le droit de dĂ©prĂ©cier le singulier chef-d’Ɠuvre de son dĂ©part ; je dois laisser Ă  cet enfant le mĂ©rite de sa propre mort » p. 189. 113Hors de cet extrĂȘme, tout paraĂźt avoir Ă©tĂ© accessible aux facultĂ©s sympathiques d’Hadrien. Sans doute mĂȘme a-t-il vu parfois la figure opaque d’AntinoĂŒs s’éclairer pour lui grĂące Ă  la communion sensuelle dans laquelle il trouve le plus sĂ»r moyen de connaĂźtre vĂ©ritablement l’autre J’ai rĂȘvĂ© parfois d’élaborer un systĂšme de connaissance humaine basĂ© sur l’érotique, une thĂ©orie du contact, oĂč le mystĂšre et la dignitĂ© d’autrui consisteraient prĂ©cisĂ©ment Ă  offrir au Moi ce point d’appui d’un autre Monde. La voluptĂ© serait dans cette philosophie une forme plus complĂšte, mais aussi plus spĂ©cialisĂ©e, de cette approche de l’Autre, une technique de plus mise au service de la connaissance de ce qui n’est pas nous. Dans les rencontres les moins sensuelles, c’est encore dans le contact que l’émotion s’achĂšve ou prend naissance [...]. Avec la plupart des ĂȘtres, les plus superficiels de ces contacts suffisent Ă  notre envie, ou mĂȘme l’excĂšdent dĂ©jĂ . Qu’ils insistent, se multiplient autour d’une crĂ©ature unique jusqu’à la cerner tout entiĂšre ; que chaque parcelle d’un corps se charge pour nous d’autant de significations bouleversantes que les traits d’un visage ; qu’un seul ĂȘtre, au lieu de nous inspirer tout au plus de l’irritation, ou du plaisir, ou de l’ennui, nous hante comme une musique et nous tourmente comme un problĂšme ; qu’il passe de la pĂ©riphĂ©rie de notre univers Ă  son centre, nous devienne plus indispensable que nous-mĂȘmes, et l’étonnant prodige a lieu, oĂč je vois bien davantage un envahissement de la chair par l’esprit qu’un simple jeu de la chair. p. 22-23 114Sous les espĂšces du prodige et du jeu sĂ©rieux oĂč tout l’ĂȘtre s’engage, c’est bien d’un rituel magique que le narrateur construit ici la thĂ©orie, et il ne diffĂšre somme toute guĂšre des pratiques apotropaĂŻques de la sorciĂšre de Canope. De mĂȘme que le sacrifice d’une crĂ©ature protĂšge son propriĂ©taire selon une logique de contiguĂŻtĂ©, le contact avec un corps permet d’atteindre l’esprit qu’il recĂšle. Une fois de plus, les mĂ©ditations du personnages viennent redoubler les expĂ©riences qui ont prĂ©sidĂ© Ă  sa crĂ©ation, car Marguerite Yourcenar a elle aussi vĂ©cu des rencontres spirituelles suscitĂ©es par un contact physique. L’émotion avec laquelle elle dĂ©crit, dans les Carnets de notes, un profil d’AntinoĂŒs ciselĂ© dans une sardoine laisse deviner les vertus qu’elle accorde Ă  cet objet ; la pierre lui permet de rejoindre, non pas l’éphĂšbe dont elle garde l’image, ni mĂȘme l’artiste qui l’a finement sculptĂ©e, mais l’homme qui l’a tenue entre ses mains Le second de ces chefs-d’Ɠuvre est l’illustre sardoine qui porte le nom de Gemme Marlborough, parce qu’elle appartient Ă  cette collection aujourd’hui dispersĂ©e ; cette belle intaille semblait Ă©garĂ©e ou rentrĂ©e sous terre depuis plus de trente ans. Une vente publique l’a remise en lumiĂšre en janvier 1952 ; le goĂ»t Ă©clairĂ© du grand collectionneur Giorgio Sangiorgi l’a ramenĂ©e Ă  Rome. J’ai dĂ» Ă  la bienveillance de ce dernier de voir et de toucher cette piĂšce unique. [...] De tous les objets encore prĂ©sents aujourd’hui Ă  la surface de la terre, c’est le seul dont on puisse prĂ©sumer avec quelque certitude qu’il a souvent Ă©tĂ© tenu entre les mains d’Hadrien. p. 338 115Le puissant rituel du contact n’est toutefois pas toujours nĂ©cessaire pour qu’opĂšre la magie de la rencontre sympathique. Une alchimie immĂ©diate, au-delĂ  des gestes et des mots, permet ainsi la comprĂ©hension parfaite et rĂ©ciproque d’Hadrien et de Plotine L’intimitĂ© des corps, qui n’exista jamais entre nous, a Ă©tĂ© compensĂ©e par ce contact de deux esprits Ă©troitement mĂȘlĂ©s l’un Ă  l’autre. Notre entente se passa d’aveux, d’explications, ou de rĂ©ticences les faits eux-mĂȘmes suffisaient », se souvient l’empereur p. 96. Aussi le miracle d’une communion poursuivie au-delĂ  de la mort peut-il advenir la mort changeait peu de chose Ă  cette intimitĂ© qui depuis des annĂ©es se passait de prĂ©sence ; l’impĂ©ratrice restait ce qu’elle avait Ă©tĂ© pour moi un esprit, une pensĂ©e Ă  laquelle s’était mariĂ©e la mienne » p. 182. Et l’on se plaĂźt Ă  imaginer que Marguerite Yourcenar, nouvelle Plotine, n’avait pas mĂȘme besoin d’une gemme passĂ©e entre les mains de son personnage pour marier sa pensĂ©e Ă  la sienne. À travers lui, elle accĂšde Ă©galement Ă  la connaissance de chaque ĂȘtre, puisqu’Hadrien affirme y ĂȘtre parvenu par la mĂ©moire des gestes et des sensations auxquels la maladie l’a contraint de renoncer Ainsi, de chaque art pratiquĂ© en son temps, je tire une connaissance qui me dĂ©dommage en partie des plaisirs perdus. J’ai cru, et dans mes bons moments je crois encore, qu’il serait possible de la sorte de partager l’existence de tous, et cette sympathie serait l’une des espĂšces les moins rĂ©vocables de l’immortalitĂ©. p. 15 116 L’une des espĂšces [...] de l’immortalitĂ© », et non la seule, Ă©crit Hadrien. Le livre en est une autre. En immortalisant par l’écriture un ĂȘtre auquel elle donne la conscience d’avoir Ă©tĂ© reliĂ© Ă  tout et tous, Marguerite Yourcenar prolonge la grande chaĂźne des sympathies et offre Ă  ses lecteurs de s’y rattacher. Vecteur d’un autre contact magique, un petit volume de papier imprimĂ©, parce qu’il peut ĂȘtre multipliĂ© presque Ă  l’infini, s’avĂšre un talisman plus puissant encore que l’unique et sublime sardoine oĂč se lit le profil d’un adolescent grec.

Unefamille comme une autre RĂ©sumĂ© du chapitre prĂ©cĂ©dent : « Houni » Yugi sursauta au son de cette voix inconnue, il releva brusquement la tĂȘte et vit une silhouette debout devant sa fenĂȘtre Ă  travers laquelle les premiers rayons solaires entraient dans la piĂšce, mais dont les traits Ă©taient cachĂ©s par le contrejour.
Une rumeur inquiĂ©tante se rĂ©pand le long du Nil, au sud de Kemet la reine Hatchepsout projette de dĂ©manteler ses armĂ©es sur la frontiĂšre et de... Lire la suite 7,50 € Neuf DĂ©finitivement indisponible Une rumeur inquiĂ©tante se rĂ©pand le long du Nil, au sud de Kemet la reine Hatchepsout projette de dĂ©manteler ses armĂ©es sur la frontiĂšre et de transformer en entrepĂŽts les forteresses du Ventre de Pierres. L'arrivĂ©e d'un groupe d'inspection Ă  la citadelle de Bouhen confirme les craintes de Bak, le chef de la police. L'assassinat d'un prince de la rĂ©gion, poignardĂ© dans la demeure mĂȘme des hĂŽtes de marque, attise encore l'animositĂ© de la population. Afin d'enquĂȘter sur ce crime inexplicable, Bak se joint Ă  la riche caravane des Ă©missaires. Mais le voyage en amont s'annonce pĂ©rilleux, car tant d'opulence pourrait bien attirer un pillard du dĂ©sert dont le nom suffit Ă  provoquer l'effroi... Date de parution 09/09/2003 Editeur Collection ISBN 2-264-03711-3 EAN 9782264037114 Format Poche Nb. de pages 301 pages Poids Kg Dimensions 11,0 cm × 17,7 cm × 2,0 cm
Texte Chapitre 86 Formule pour prendre l'aspect d'une hirondelle. En rĂ©citant les formules de de ce chapitre Ani se transforme en hirondelle une incarnation de Serket, la dĂ©esse Scorpion, la fille de RĂą et d'Isis. Ani proclame son innocence et sa puretĂ© de corps et d’ñme et rĂ©clame le droit d'entrer parmi les dieux, car il est saint. Toutes les routes lui sont connues, aucune porte ne
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